Poèmes saturniens est le premier recueil publié par Verlaine, en 1866. Le jeune poète est pétri d'influences nombreuses, au premier rang desquelles celle de Baudelaire, premier poète de l'homme moderne, dira Verlaine. Le poème Nevermore de la section des Caprices (un autre se trouve dans la section Melancholia) redit la filiation baudelairienne, puisque l'adverbe anglais vient du refrain du poème d'Edgar Allan Poe Le Corbeau (1845), traduit par le poète à partir de 1852. La forme même, quatre quintils, est employée dans Les Fleurs du Mal à plusieurs reprises. Le poète s'adresse à son pauvre coeur et l'exhorte à se ranimer dans les deux premiers quintils, parce qu'il a rencontré le Bonheur (troisième quintil) ; mais ce Bonheur, irrémédiablement passé, n'était de toute façon qu'illusion, finalement. La FATALITE écrite en capitales ramène encore une fois à l' Influence maligne de Saturne, mais le poème porte aussi un jugement sur le lyrisme et sa sincérité (...)
[...] La FATALITE suit immédiatement le vers de l'apaisement (v.16- avec un Mais initial qui coupe brutalement l'élan. Cette rupture se signale d'abord par le lexique ver, réveil, remords aux vers 18-19 et l'expression implacable telle est la loi dernière mesure d'un trimètre sinistre, mais aussi par le tiret au dernier vers, qui fait entendre le v.16 très différemment : son passé composé a marché prend tout son sens de passé : le Bonheur n'est plus là. - Cette idée était déjà présente dans le quintil précédent : annoncé déjà comme un rêve impossible le Bonheur est métaphorisé comme un ailé/Voyageur autour d'un enjambement qui souligne deux fois l'idée de fuite. [...]
[...] En tout cas l'adjectif mordorés renvoie à l'idée de décor, ou de costume : à l'artifice. Un trop plein une boursouflure progressivement épurés - Le poème ne met pas seulement en avant l'artifice, mais l'accumulation dans l'expression lyrique. L'addition de tous les moyens d'exprimer le lyrisme aboutit à une saturation. Il en est ainsi des assonances du 1er quintil, systématisées dans le 2ème, et répercutées par le schéma ABBAA de chaque strophe. De même pour la démultiplication des images du cœur des apostrophes, des impératifs, emportées dans un rythme soutenu, avec trois points d'exclamation. [...]
[...] Une disparition progressive du lyrisme artificiel - Le poète stigmatise une sorte de supercherie construite par les procédés lyriques. La sincérité du sentiment est occultée par la rhétorique lyrique (par exemple, les très voyantes apostrophes au cœur les rythmes et l'accumulation des assonances). Verlaine critique ce lyrisme artificiel, qui se caractérise par un Je omniprésent et boursouflé (deux quintils), soutenu par un appareil rhétorique. C'est un Romantisme éculé que sanctionne Verlaine, dont il montre les ruines Redresse et peins à neuf tous tes arcs triomphaux et la fausseté du chant : ô chantre rajeuni est une expression ironique. [...]
[...] C'est précisément au moment où le Je commence à s'effacer (le seul moi qu'une poésie plus subtile et moins voyante se met en place. Le second Nevermore est donc un poème essentiel pour comprendre comment Verlaine conçoit le lyrisme et se situe dans l'histoire de la poésie. Au premier abord, ce poème célèbre de manière très lyrique l'expérience du bonheur avant d'en montrer brutalement l'impossibilité. Mais le poète montre surtout l'artifice des procédés lyriques, qui dissimulent bien mal une évidence tragique : le poète est fatalement conduit à manquer le bonheur. [...]
[...] Le poète est bien un saturnien : le poème liminaire, qui dit cette prédestination au malheur, contient le mot SATURNE écrit en capitales comme l'est ici le mot FATALITE. Cette fatalité revient parler au cœur du poète, comme le fait le refrain des vers récurrents. Verlaine évacue donc toute crédulité, et reconnaît à la fin du poème, dans un quintil épuré, une vérité rude : son incapacité à connaître le bonheur : le fruit, le rêve, l'amour sont minés par le ver, le réveil et le remords, v.18-19. [...]
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