Lorsque entre en scène le personnage central de l'oeuvre, Breton modifie subitement son mode d'écriture. La relation des 9 premiers jours de la rencontre, du 4 au 12 octobre 1926, prend la forme d'un journal : le choix de ce genre littéraire n'est assurément pas innocent et révèle en tous cas l'importance que l'auteur veut accorder à ce moment de sa vie.
Fidèle à la conception exprimée dans le préambule, Breton, refusant toute "affabulation romanesque" (p.18), entend offrir au lecteur un livre ouvert "battant comme une porte" (p.185), qui rende compte des "menus faits de la vie courante" (p.12) dont il prétend n'être que "le témoin hagard" (p.21). Quoi de mieux adapté à cet objectif que le journal qui présente l'avantage de relater les événements sous la forme stricte d'un constat, d'un procès-verbal ? Ainsi, est-ce avec la conviction de rester parfaitement fidèle à la réalité que l'auteur nous fait entrer dans sa "maison de verre" (p.18) que Nadja va habiter d'une telle présence (...)
[...] Ailleurs, ce sont ses dons de divination qui troublent Breton, lui-même très sensibilisé aux phénomènes de voyance : elle voit chez l'écrivain (p.85), sa femme Brune, naturellement. Petite. Jolie avec près d'elle un chien Peut-être aussi un chat Cette prescience, confirmée à propos d'une fenêtre qui va s'éclairer et devenir rouge (p.96), amène d'ailleurs Breton à identifier Nadja à l'oiseau splendidement triste de la divination (p.105). Mais la faculté de prescience est inséparable de l'hallucination, avec notamment le franchissement des limites entre les sensations lorsque Nadja voit dans les arbres passer le vent bleu (p.96). [...]
[...] Car cette présentation donne une force extraordinaire aux événements. Il s'agit, à n'en pas douter, d'un artifice littéraire : même si Breton a pris quelques notes sur le moment, il précise lui-même que la rédaction de Nadja intervient en Août 1927, au moins 10 mois après leur rencontre. C'est donc d'un choix littéraire délibéré qu'il s'agit et ce journal permet à l'auteur de refuser toute analyse psychologique a posteriori. Rapportant les faits au fur et à mesure qu'ils se déroulent, sans réorganisation ni mise en forme, Breton espère ainsi rendre compte de la spontanéité de Nadja, de son imprévisibilité, de son refus de toute logique. [...]
[...] Pure, libre de tout lien terrestre (p.104), Nadja est ouverte au vent de l'éventuel. Elle en travaille pas, ne respecte pas les horaires ni les rendez-vous, dîne n'importe où : Où ? mais là, ou là . où je suis, voyons. C'est toujours ainsi dit-elle à son ami émerveillé (p.82). Fille de la rue, pour elle seul champ d'expérience valable (p.133), elle se définit clairement comme l'âme errante (p.82). Au hasard de nos pas (p.81) nos pas nous conduisent (p.103) : ainsi s'exprime Breton pour évoquer cette errance dans Paris sans but aucun (p.73). [...]
[...] Si Nadja est une étape si importante dans la carrière littéraire de Breton, au point qu'il a pris la peine de corriger son œuvre 35 ans plus tard, c'est que ce livre fait revivre un des personnages qui ont le plus marqué l'auteur : Nadja, une jeune femme qui fut pour Breton la révélation même du surréalisme incarné. La fascination pour le merveilleux Tout d'abord, Nadja est liée, jusqu'à l'identification, à plusieurs figures mythiques ou légendaires. Elle aime avant tout se représenter sous les traits de Mélusine (p.149). Cette affinité avec l'esprit d'enfance, cher aux surréalistes, apparaît également dans ses nombreux dessins consacrés à la fée. Sirène, Mélusine ou Gorgone, femme-poisson ou femme-serpent, la personnalité de Nadja est inséparable de l'univers du Merveilleux. [...]
[...] Quelle énigme est-elle destinée à résoudre ? N'est-elle pas, elle-même, une énigme tout entière, elle qui, à propos des pensées de Breton et des siennes, évoque une image qui se trouve exprimée presque sous la même forme dans un ouvrage qu'elle ne peut connaître et que le narrateur vient de lire (p.100-102) ? Un génie de l'interprétation et de la création Mieux encore : Nadja est douée d'un vrai génie de l'interprétation et de la création. Elle exprime une sensibilité singulière à l'égard des œuvres surréalistes les plus étranges de Braque, de Chirico, ou encore de Max Ernst (p.146-149). [...]
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