Dans son ouvrage La Guerre, Adrienne Hytier note que, dans les récits au centre desquels gravite le thème de la guerre, les civils, qui sont les femmes, les enfants et les vieillards, occupent toujours le rôle de première victime, qu'ils essayent de s'enfuir devant l'ennemi, « la littérature est pleine de scènes pathétiques d'exode »1, ou qu'ils restent chez eux à l'attendre. L'enfant est particulièrement prédisposé à ce rôle de victime, il reste un modèle figé, une recette pour émouvoir : les écrivains s'apitoient sur les enfants de la guerre. Celle-ci n'est pas pour autant synonyme de malheur immédiat pour l'enfant qui n'est pas en âge d'en comprendre les effets...
[...] Gilbert Bosetti remarque que la rareté du motif de l'enfant victime, durant la Première Guerre mondiale, est assez curieux. Peu de récits, en effet, montrent un enfant parmi les ruines. Ainsi, tandis que la vieille génération exploite le motif de l'enfant de manière sentimentale et rhétorique, la nouvelle génération, qui connaît cette Première Guerre mondiale durant l'enfance, sait montrer la poésie d'une vision d'enfance. Pour un grand nombre de ces enfants, la guerre était l'occasion de grandes vacances qui permettaient d'échapper aux contraintes familiales et scolaires. [...]
[...] Il s'agit d'une observation directe de la réalité dans la mesure où l'interprétation rationnelle est seconde par rapport au temps de la découverte enfantine. Et Gilbert Bosetti ajoute : En ce sens, il s'agit d'une opération salutaire de déconstruction idéologique de la lectio princeps imposée par les historiens marxistes alors hégémoniques (et dont Calvino, grosso modo, partageait encore les analyses). Un romancier a une autre fonction que de nous livrer une page d'Histoire et nous ne lisons pas le début de La Chartreuse de Parme pour savoir ce qui s'est passé à Waterloo, mais pour découvrir comment l'aventure napoléonienne a frappé l'imaginaire d'un garçon de dix-sept ans7. [...]
[...] Mais il prend soin de ne pas tomber dans le piège de la mise en scène manichéenne qui propose, au choix, le larmoyant, avec l'enfant victime, ou l'exaltant, avec l'enfant héros. Pin n'est ni une victime, ni un héros parce qu'il garde, à tous moments, la possibilité de choix. Il reste le porte-drapeau de cette volonté de ne pas s'engager dans une quelconque condamnation du conflit, que ce soit pour choisir un camp plutôt que l'autre. Au fond, de par leur incompréhension, Pin est là pour présenter une vision non manichéenne de l'Histoire et de la guerre. [...]
[...] Gilbert Bosetti, dans Le Mythe de l'enfance dans le roman italien contemporain, note qu'il y a deux types fondamentaux de témoignages dans les œuvres narratives italiennes : [ . ] d'abord, l'enfant mis en scène d'une manière larmoyante (la victime) ou exaltante (le héros) par des écrivains de la vieille génération, adultes au moment du conflit [ . ] ; ensuite et surtout, il y a les souvenirs plus ou moins transposés des écrivains appartenant à cette génération exceptionnelle qui, un quart de siècle avant d'avoir à faire la guerre des hommes, parfois même la guerre civile, avait connu en état d'enfance l'état de guerre2. [...]
[...] La signification de la guerre lui aura échappé. Ce regard de l'enfance est donc un regard particulier, marginal, mêlé d'incompréhension : Pin, par exemple, est assez ignorant et ingénu pour poser sur le monde le regard déformant de l'enfance. Car l'enfant voit la réalité nue, sans prise de position idéologique, sans condamnation morale, mais il reste en même temps soumis à l'emprise d'un imaginaire. Pin voit les partisans comme des Indiens : Pin, à la fois désorienté et résolu, sans conscience historique ni idéologique mais vite au courant des faits et gestes de chacun, nous offre une vision originale et singulière Sur ce point Gilbert Bosetti note, dans L'Enfant-dieu et le poète, que l'affirmation d'Italo Calvino selon laquelle le personnage de Pin lui aurait offert un élément d'observation directe de la réalité lui paraît contestable. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture