La lettre LXXIII permet à Montesquieu, par la plume de Rica, de faire une critique virulente (la censure d'alors n'étant pas trop sévère) de l'Académie française, institution ayant soulevée, à cette époque, une polémique sur son inactivité.
Il faut rappeler qu'en 1636, Richelieu fonde l'Académie française pour élaborer un dictionnaire et une grammaire de la langue française, mais aussi censurer esthétiquement les oeuvres d'époque. En 1678, le premier dictionnaire est édité et présenté au Roi. Son achèvement définitif a lieu en 1694. Pourtant, bien avant, en 1680, Richelet a publié son propre ouvrage de définitions de mots, et Furetière en 1690 en a fait un aussi.
La critique qui s'était élevée alors se demandait comment quarante cinq personnes n'avaient pas été plus rapides que des particuliers qui n'avaient pas le budget royal !
I- Une critique de l'Académie française
Remarquable par sa brièveté, cette lettre est avant tout une critique de l'Académie française dont elle précise, parfois ironiquement, le rôle.
a- Son rôle
- un tribunal pour oeuvres littéraires
Dès la première phrase, sa définition laisse paraître la critique de l'auteur bien que soulignée par le champ lexical de la justice : une espèce de tribunal (ligne 1), casse ses arrêts (ligne 3), lois (ligne 3). Les lois sont très difficiles à remettre en cause puisque promulguées par le pouvoir (l'Académie tire sa légitimité du Roi, ce que rappelle l'adjectif légitime de la ligne 6).
- la création d'un dictionnaire
Défini par la périphrase un code de ses jugements (lignes 4-5), le dictionnaire se doit de dispenser une grammaire et un vocabulaire.
- une institution unique
Qualifiée d'établissement(s) singulier(s) (ligne 18), cette unité traduit l'existence d'une seule académie par nation et renvoie à ce qu'elle représente et ce qu'elle est : l'académie du français. (...)
[...] L'éloge et le panégyrique sont nécessaires pour l'investiture des nouveaux arrivants. - son fonctionnement Souligné par l'expression mains . avides (ligne il rappelle que les académiciens sont pensionnés par le Roi. Les critiques - l'inactivité de l'Académie française On relève plusieurs allusions qui rappellent le contexte de l'époque et soulignent une production insuffisante : .presque vieux quand il naquit (ligne 5). C'est une allusion au dictionnaire qui mit plus d'un demi-siècle à paraître . un bâtard, qui avait déjà paru, l'avait presque étouffé dans sa naissance (ligne 6). [...]
[...] - enfin, mais l'allusion vaut également pour tout le roman, la clairvoyance suggérée par le jeu de mot entre Persan et perçant Elle témoigne que les étrangers remarquent particulièrement les attitudes artificielles de la vie en société et ce qui est absurdité et convention : Nous n'avons point l'esprit porté à ces établissements singuliers et bizarres ; nous cherchons toujours la nature dans nos coutumes simples et nos manières naïves (lignes 17 à 19). Conclusion Révélatrice de la querelle des Modernes contre les Anciens, la lettre LXXIII permet donc de lire un texte paradoxal : l'Académie française, censée être la garante d'une bonne production littéraire, n'en fait rien. Sa vocation littéraire n'est donc pas très évidente. Montesquieu fait partie des Modernes. [...]
[...] Montesquieu rend hommage aux auteurs privés, tels Richelet et Furetière, qui ont publié leur dictionnaire avant celui de l'Académie, alors qu'ils n'avaient pas le budget royal. - le verbiage excessif des académiciens Il semble expliquer la lenteur de la production écrite de cette institution et est souligné par un champ lexical péjoratif : .jaser, ligne 7 .babil, ligne 8 .la fureur du panégyrique, ligne 9. - un dictionnaire désuet Cette carence de mise à jour est soulignée par l'expression le peuple casse ses arrêts (ligne 3). [...]
[...] L'impertinence du texte choque quelques intellectuels. Cependant, le succès est tel que Montesquieu doit accepter plus ou moins officiellement d'en reconnaître la paternité, en dépit de ses déclarations dans la courte introduction : C'est à condition que je ne serai pas connu ; car, si l'on vient à savoir mon nom, dès ce moment, je me tais. Lors de leur réédition en 1754, il avoue officiellement la paternité de l'œuvre. Le titre insiste sur la couleur exotique, très à la mode au XVIIIe siècle. [...]
[...] De plus, il convient de noter que la fiction romanesque ramène le lecteur à la fin du règne de Louis XIV et avec lui, du classicisme. Cette volonté d'entremêler les calendriers lunaire et européen permet à l'auteur d'être symbolique : entre 1715 et 1723, la régence correspond à une période de relâchement littéraire, laxisme du au fait que le régent sait qu'il n'est pas en poste pour longtemps. L'Académie Française garde la teinte d'une institution dépassée et Montesquieu le fait remarquer par la date. - c'est une lettre d'information et d'argumentation En effet, il n'y a pas de demande de réponse du correspondant. [...]
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