Charles Louis de Secondat, Seigneur de Montesquieu (1689-1755) a publié Lettres persanes en 1721. Ce roman épistolaire nous narre les impressions de deux Persans, Rica et Usbek, découvrant Paris.
Dans la lettre XXX, Rica, écrivant à son ami Ibben, resté en Perse, apprend à celui-ci comment sont "les habitants de Paris", et fait avec humour et ironie un portrait peu flatteur de ceux-ci.
Le mouvement du texte semble ordonné à partir d'une structure en miroir, puisque Rica, observé par une société ignorante et stupide, devient à son tour observateur. Cette lettre semble, à travers l'ironie et le caractère polémique, bien dans l'esprit des Lumières (...)
[...] De nombreuses oppositions renforcent le caractère plaisant de la narration, d'abord entre le narrateur qui intervient souvent les pronoms personnels de première personne sont nombreux, je et moi en particulier et la foule des parisiens. Le narrateur généralise en employant des expressions comme tout le monde qui est une hyperbole, ou les gens Il y a opposition entre le singulier qu'il représente, et les pluriels. Le lexique de la curiosité, curieux rare fait place à celui de l'indifférence, lorsqu'il indique qu'il a perdu l'attention et l'estime publique L'envoyé du ciel du début du texte sombre dans un néant affreux ces deux hyperboles renforçant le comique de la situation. [...]
[...] La distanciation qu'utilise l'auteur en choisissant un personnage venu d'ailleurs lui permet de dénoncer les travers de cette foule, qu'il décrit bornée et stupide. La gradation vieillards, hommes, femmes, enfants est satirique et montre que cette attitude poursuit les générations. Les procédés hyperboliques sont nombreux de même que l'emploi des adverbes d'intensité, si très jamais ou tant L'auteur s'en prend à tout le peuple, le mot tous et les termes collectifs sont également très utilisés. Par ailleurs, les personnes qui sont aux fenêtres ne sont pas celles que l'on trouve aux Tuileries ni même celles qui vont aux spectacles donc Rica ne fait pas plus de distinction sociale qu'il ne fait de distinction familiale. [...]
[...] Cela me fit résoudre à quitter l'habit persan et à en endosser un à l'européenne, pour voir s'il resterait encore dans ma physionomie quelque chose d'admirable. Cet essai me fit connaître ce que valais réellement : libre de tous les ornements étrangers, je me vis apprécié au plus juste. J'eus sujet de me plaindre de mon tailleur, qui m'avait fait perdre en un instant l'attention et l'estime publique : car j'entrai tout à coup dans un néant affreux. Je demeurais quelquefois une heure dans une compagnie sans qu'on m'eût regardé, et qu'on m'eût mis en occasion d'ouvrir la bouche. [...]
[...] Il y a donc une nette opposition entre les deux paragraphes qui forment un diptyque, et proposent un portrait caricatural des parisiens. Un important champ lexical du regard apparaît dans ce récit, avec les nombreuses occurrences du verbe voir utilisé 6 fois dans le texte, du verbe regarder une fois dans chaque paragraphe, mais aussi avec les mots portrait et physionomie ainsi que l'hyperbole caricaturale cent lorgnettes dressées Mais le verbe voir est utilisé dans un autre sens dans le second paragraphe, il ne s'agit plus d'une sensation, mais d'un jugement ironique : je me vis apprécié au plus juste Bien que ce récit soit écrit au passé, le début de chaque partie utilise un présent de vérité générale qui a valeur de constat, le reste de chaque paragraphe illustrant la proposition initiale. [...]
[...] Charles Louis de Secondat, seigneur de Montesquieu (1689-1755), Les Lettres persanes Lettre XXX. Lettre XXX Rica à Ibben, à Smyrne Les habitants de Paris sont d'une curiosité qui va jusqu'à l'extravagance. Lorsque j'arrivai, je fus regardé comme si j'avais été envoyé du ciel : vieillards, hommes, femmes, enfants, tous voulaient me voir. Si je sortais, tout le monde se mettait aux fenêtres ; si j'étais aux Tuileries, je voyais aussitôt un cercle se former autour de moi : les femmes même faisaient un arc-en-ciel, nuancé de mille couleurs, qui m'entourait ; si j'étais aux spectacles, je trouvais d'abord cent lorgnettes dressées contre ma figure : enfin jamais homme n'a tant été vu que moi. [...]
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