En 1664, après la représentation de Tartuffe devant Louis XI, Molière voit sa pièce interdite sous la pression des dévots, qui lui reprochent de railler la religion. En 1667, une nouvelle version de la pièce est de nouveau frappée d'interdiction par l'Église. Ce n'est que deux ans plus tard qu'il reçoit l'autorisation de la jouer, et connaît un succès triomphal. Molière sait à la fois faire rire les spectateurs et susciter l'inquiétude devant l'habileté avec laquelle l'hypocrite se sert de la religion pour s'emparer de la fortune d'Orgon, épouser sa fille, et séduire sa femme. À l'acte III, l'imposteur déclare en effet sa passion à Elmire dans une tirade devenue célèbre (...)
[...] Tartuffe se présente comme un homme vaincu par l'amour, en dépit de toutes ses résistances: Elmire est souveraine (v. il n'est devant elle qu'un esclave indigne (v. qui s'en remet à ses bontés (v. 23). De plus, cet échange qu'établit le discours amoureux entre l'amant soumis et la beauté convoitée se poursuit tout au long du texte à travers le jeu des pronoms et des adjectifs possessifs: si vous condamnez . que je vous fais (v. 11) : de mon intérieur . [...]
[...] On le voit, Tartuffe maîtrise parfaitement le code du discours amoureux, jusque dans ses images poétiques Le dévot mène une déclaration d'amour en suivant les règles de la galanterie: après avoir célébré la beauté de la femme, il lui faut souligner l'intensité de l'amour qui l'habite . Derrière le dévot, il y a un cœur qui bat, affirme Tartuffe dès le premier vers de sa tirade. Dès lors, c'est bien d'une déclaration d'amour qu'il s'agit, comme le soulignent les termes aveu (v. vous l'ont dit (v. 19) ou expliquer (v. 20). [...]
[...] Dès que j'en vis briller la splendeur plus qu'humaine, De mon intérieur vous fûtes souveraine. De vos regards divins, l'ineffable douceur, Força la résistance où s'obstinait mon cœur ; Elle surmonta tout, jeûnes, prières, larmes, Et tourna tous mes vœux du côté de vos charmes. Mes yeux, et mes soupirs, vous l'ont dit mille fois ; Et pour mieux m'expliquer, j'emploie ici la voix. Que si vous contemplez, d'une âme un peu bénigne, Les tribulations de votre esclave indigne ; S'il faut que vos bontés veuillent me consoler, Et jusqu'à mon néant daignent se ravaler, J'aurai toujours pour vous, ô suave merveille, Une dévotion à nulle autre pareille. [...]
[...] En effet, Tartuffe semble recourir, tout au long de sa tirade, à un double langage. Deux lexiques se croisent constamment: celui de la beauté physique et de la déclaration d'amour, d'un côté, le langage de la religion, de l'autre. Les mots et les expressions, comme ange splendeur plus qu'humaine divins ineffable âme dévotion autel etc. appartiennent au langage de la liturgie chrétien- ne et nous rappellent que Tartuffe joue, dans la maison d'Orgon, le rôle d'un dévot uniquement préoccupé de choses spirituelles. [...]
[...] La tirade de Tartuffe n'est pas simplement l'aveu que ferait de son amour un homme passionnément épris, elle se construit comme une véritable argumentation. Les premiers vers correspondent ainsi à l'énoncé de la thèse: si Tartuffe est tombé amoureux, c'est à cause des charmes extraordinaires d'Elmire auxquels nul ne peut résister. C'est elle qui est, au fond, responsable de sa passion. Tartuffe semble ainsi s'innocenter lui- même, et rappelle que ses résistances ont été vaincues: jeûnes, prières, larmes (v. tout a été inutile. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture