Dans la préface de Tartuffe et dans les Placets adressées au Roi après l'interdiction de la pièce, Molière déclare n'avoir ridiculisé dans sa comédie que l'hypocrisie religieuse de son époque. A cela Brunetière objecte, dans les Epoques du théâtre français, que la fausse dévotion n'était pas assez répandue, au temps de Molière, pour justifier une comédie satirique à ce sujet.
Mais la critique contemporaine a réfuté cette thèse. Le seul fait que l'on ait attribué au personnage de Tartuffe une dizaine de modèles différents prouve que l'hypocrisie religieuse était, à l'époque de Molière, une réalité, et même un fléau moral. Dans les Historiettes de Tallemant des Réaux (que Molière connaissait certainement), nous trouvons une galerie de faux-dévots qui tous auraient pu fournir quelque trait au personnage de Tartuffe (...)
[...] Pour Brunetière, d'après l'impression d'ensemble qui se dégage de la pièce, Tartuffe est un drame Selon d'autres, au contraire, le Tartuffe serait une pièce franchement comique. Tel est l'avis de La Harpe : Tartuffe est le pas le plus hardi et le plus étonnant qu'ait jamais fait l'art de la comédie [ Jamais Molière ne fut plus profond dans les vues, plus vifs dans les effets, jamais il le conçut avec plus de verve et n'écrivit avec plus de soin. [...]
[...] On peut hardiment avancer que les discours de Cléante, dans lesquels la vertu vraie et éclairée est opposée à la dévotion imbécile d'Orgon, sont, à quelques exceptions près, le plus fort et le plus élégant sermon que nous ayons en notre langue. Rousseau lui-même qui, dans sa Lettre sur les spectacles, attaque violemment l'auteur du Misanthrope, ne dit rien du Tartuffe. Et cela s'explique aisément de la part du défenseur d'Alceste, adversaire de l'hypocrisie sous toutes ses formes. Au XIXème siècle, seuls, quelques écrivains, catholiques, comme Louis Veuillot, continuent à dénoncer l'irréligion du Tartuffe. On s'intéresse surtout aux aspects techniques de la comédie, au comique, à la vraisemblance des caractères. [...]
[...] Certaines de ces situations n'ont sans doute rien de comique : par exemple, la scène ou Orgon chasse son fils, et celle ou Monsieur Loyal vient annoncer à Orgon la vengeance de Tartuffe. Mais Molière a l'art de maintenir le ton au niveau de la comédie, soit qu'il oppose une scène franchement comique à une scène pathétique (par exemple, à l'acte II, les scènes 2 et soit qu'à l'intérieur d'une scène pathétique, il crée une situation comique : comme celle de Monsieur Loyal à la scène 4 de l'acte V. Il y en outre, un comique de situation permanent qui résulte de la dualité des caractères. [...]
[...] Il est tartuffié par la terreur. Mais ce comique de contraste n'explique pas tout le comique d'Orgon, qui est, en outre, un homme excessif ; en quoi il s'oppose à Cléante. Longtemps, il nous apparaît comme un pitoyable pantin entre les mains de l'imposteur. Mais à peine est-il, enfin, désabusé, que, passant d'un extrême à l'autre, il se transforme en une sorte d'Alceste dont il a les emportements comiques et l'outrance verbale : L'homme est, je vous l'avoue, un méchant animal C'en est fait, je renonce à tous les gens biens. [...]
[...] Il est de fait que Molière, qui s'est longuement expliqué sur le rôle de Tartuffe, ne dit rien, ou presque rien, des autres dévots de la pièce. Serait-ce là l'indice d'une mauvaise conscience ? La critique contemporaine a répondu à cette question. En réalité, ni Orgon, ni Mme Pernelle ne représentent aux yeux de Molière la vraie religion. Un seul personnage de la pièce peut exprimer, et exprime selon toute probabilité, les idées de l'auteur en la matière : c'est Cléante. [...]
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