Le récit bref est florissant au XIXème siècle et offre un panorama riche et varié. Chroniqueur, novéliste, essayiste et romancier réaliste, Guy de Maupassant (1850-1893) a largement contribué à l'évolution du genre à travers ses contes et nouvelles. Depuis "Boule de Suif" en 1880 qui assura son succès jusqu'au "Colporteur" (1893) en passant par "Le Horla" en 1886 et "La maison Tellier" en 1881, Maupassant aborde tous les sujets préoccupants de son époque.
En 1883, il publie "La Mère aux monstres" dans la revue Gil Blas (puis dans le recueil de nouvelles Toine en 1886) sous le pseudonyme de Maufrigneuse. Cette nouvelle, qui s'inscrit dans le mouvement réaliste auquel Maupassant a participé, annonce d'emblée son ambivalence. En effet, les termes choisis pour le titre de la nouvelle sont équivoques : la "mère" dont on va parler est-elle une "femme qui a mis au monde un enfant" ou une "cause, origine, lieu qui produit" ? La préposition "aux" indique-t-il la destination, la caractérisation ou le mode de fonctionnement ? Quant aux "monstres", s'agit-il d'êtres vivants possédant une malformation, d'une chose dont on s'effraie ou même des êtres fantastiques des légendes et de la mythologie ? Le titre interpelle le lecteur, le pousse à se questionner et semble vouloir l'avertir que le court récit qu'il s'apprête à lire recèle plusieurs niveaux de lectures.
Selon quelles modalités Maupassant parvient-il, à travers l'histoire de la mère aux monstres, à livrer au lecteur une vision réaliste des contradictions de la société du XIXème siècle ?
Nous verrons dans un premier temps que cette nouvelle dresse au lecteur un portrait du sujet, la mère aux monstres, qui remet en cause le statut traditionnel de la figure maternelle. Ensuite, nous montrerons que "La mère aux monstres" constitue un véritable document sur la société du XIXème siècle, une société de classes, entretenue par une mentalité capitaliste très ancrée. Enfin, nous soulèverons les contradictions que révèle cette société responsable de ses propres maux, à travers l'étude de son fonctionnement normatif et patriarcal (...)
[...] Et pourtant, la science est inefficace et ne fait rien pour empêcher cette violence puisqu'elle ne propose pas de moyen de contraceptions, qui pourraient éviter tant de violence. La monstruosité des deux femmes est donc aussi une preuve de l'inefficacité des instances créatrices de normes; loin d'endiguer cette violence qu'elle dénonce, la société semble davantage la cautionner. Une société responsable En effet, la société profite des produits de cette violence. D'une part, les industriels achètent les phénomènes de la mère aux monstres dans le but d'en retirer un profit financier : un jour, des montreurs de phénomènes qui passaient entendirent parler de l'avorton effrayant et demandèrent à le voir pour l'emmener s'il leur plaisait”. [...]
[...] En outre, la mère aux monstres génère une production régulière : le texte précise qu'elle met au monde des enfants difformes “chaque année”. Et cette fabrique abondante de monstres s'avère très lucrative. Le lexique monétaire atteste de cette grande prospérité : “enchères” . De plus, l'on trouve de nombreuses expressions chiffrées : “cinq cents francs comptant”, “quatre cents francs par ou encore “cinq à six mille francs”. La mère aux monstres fait fortune : “Elle a onze rejetons de cette nature. Elle est riche”. [...]
[...] Trois d'entre elles sont amenées, dans la nouvelle, à condamner la monstruosité de Diable” : la religion, la justice et la science. La religion s'incarne dans le personnage du curé : “Elle éleva son monstre ( ) qu'elle eût étranglé peut-être, si le curé, prévoyant le crime, ne l'avait épouvantée par la menace de la justice”. L'Eglise condamne moralement la mère aux monstres parce qu'elle va à l'encontre de l'un de ses préceptes moraux: une jeune fille doit préserver sa virginité jusqu'au mariage. [...]
[...] nullement” oppose catégoriquement les enfants de la mère aux monstres à la normalité (“comme tout le monde”). Et pour cause, ce sont des enfants qui relèvent d'une grande difformité : “estropia”, “déforma”, . Le champ lexical met en relief leur disproportion : relevons le verbe pronominal s'allonger (que l'on rencontre à deux reprises), l'adjectif ou encore l'adverbe de grandeur “démesurément” qui, confrontés aux adjectifs et révèlent un déséquilibre au niveau de la dimension des enfants. De plus, le texte utilise l'asyndète pour produire un effet d'accumulation et de désordre qui donne plus d'envergure à la difformité des enfants : membres opprimés contre le corps poussèrent, tordus comme le bois des vignes, s'allongèrent démesurément, terminés par des doigts pareils à des pattes d'araignée”. [...]
[...] Aussi, celle-ci engendre le questionnement du narrateur : ça ? La mère aux monstres Ce dernier se montre alors plus curieux pour cette attraction vivante, bien plus excitante que les banalités de la région. D'ailleurs, la mère aux monstres se révèle être une étape incontournable du parcours touristique du pays : faut que je te la fasse connaître” nous dit l'ami du narrateur. Dans cette phrase, le verbe impersonnel falloir indique une nécessité. L'ami du narrateur la compte parmi les attractions propres à sa région : “nous avons la mère aux monstres”. [...]
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