La Vie de Marianne est l'une des oeuvres romanesques majeures de Marivaux, parue en livraison, selon la mode de ces années 1730. Ecrit à la première personne, ce roman intime se veut avant tout vraisemblable, et il met en scène une femme qui raconte à une amie son histoire, les aventures de sa jeunesse. Marianne est donc à la fois celle qui vit les aventures et celle qui les raconte, mais les deux registres ne se confondent pas, la Marianne âgée qui écrit n'est pas la jeune Marianne qui vivait son isolement, son amour et ses débuts dans la société ; la Marianne du présent a pour la Marianne du passé le regard d'un auteur pour un personnage. Et cette construction n'est pas sans intérêt quand il s'agit de déchiffrer le coeur de la jeune fille (...)
[...] Marianne sait qu'elle ne peut exister qu'à travers le regards des autres et à travers l'écriture, c'est pourquoi elle attache tant d'importance au paraître et à la construction de son récit, armes redoutables qui établissent une réalité nouvelle, imposée au fur et à mesure aux personnages du roman, à sa destinatrice et au lecteur. Cependant l'inachèvement du roman et les non-dits servent aussi l'auteur lui-même, qui grâce à eux, évite de mettre en scène de manière explicite un renversement de l'ordre social à travers l'accession au titre de comtesse de la protagoniste et fait naitre de manière perverse des relations passionnelles quasi-incestueuses. [...]
[...] La volonté de plaire et d'impressionner, de convaincre les autres de sa grandeur innée se reflète dans une attitude recherchée, faisant apparaître un paradoxe révélateur : elle prouve sa noblesse naturelle par des artifices corporels, vestimentaires . Le corps est donc utilisé comme moyen d'expression et de compréhension, et par là, il vient pallier l'incapacité des mots pour traduire des sentiments. Cependant, au même titre que les silences et que le travestissement de la parole, il permet avant tout a Marianne d'établir son identité, de se construire une réalité, devenant peu à peu effective. [...]
[...] D'autre part, Marianne va exceller dans l'art de paraître : si elle veut établir son identité aristocratique, il faut qu'elle en ait tous les aspects. En parallèle d'une identité à l'origine incertaine, apparaît alors une identité imaginée, créée par le jeu des apparences ; la narratrice déclare d'ailleurs elle-même que dans sa jeunesse elle maîtrisait à la perfection l'art d'être plusieurs femmes en une : Quand je voulais avoir un air fripon, j'avais un maintien et une parure qui faisait mon affaire ; le lendemain on me trouvait avec des grâces tendres ; ensuite j'étais une beauté modeste, sérieuse, nonchalante. [...]
[...] Vous avez alors, avec vos grâces celle que votre histoire, faite comme un roman, vous donne encore. Et ne vous embarrassez pas d'ignorer ce que vous êtes née ; laissez travailler les chimères de l'amour là dessus ; elles sauront bien vous faire un rang distingué, et tirer bon parti des ténèbres qui cacheront votre naissance La scène de ses origines, tant de fois racontée, participe aussi à cette héroïsation, par le caractère tragique qui l'entoure : elle, cachée au milieu des morts et dans une atmosphère horrifiante, retrouvée puis remise à un curé ; le poncif de l'enfant trouvé et la dramatisation de cet épisode l'inscrit dans une lignée d'enfant héroïque. [...]
[...] de Climal, à la prieure du couvent, à Valville, à Mlle Varthon et à Mlle de Tervire (qui eux même la raconterons bien souvent). Grâce à cette manœuvre d'autorépétition, Marianne peut insinuer imperceptiblement que sa noblesse ne fait aucun doute et que son rang est prouvé par maints détails en avouant même parfois son subterfuge : lorsqu'elle rencontre Mlle Varthon elle lui racontait [ses malheurs] à [s]on avantage dans un goût aussi noble que tragique On remarque que la narratrice elle aussi brouille son récit et pervertit son discours, notamment par l'ambivalence de certaines phrases, qui peuvent évoquer des réalités bien différentes : je fixai les yeux de tous les hommes 89) peut signifier que tout le monde la regarde, mais aussi que c'est elle qui regarde tout le monde, insinuant ainsi une séduction offensive bien dérangeante chez une si jeune fille ; mon petit discours ou ma petite harangue dans laquelle je ne mis point d'autre art que ma douleur 161), dans cette phrase on peut se demander si elle a usé ou nom de cet artifice sensé émouvoir son auditoire. [...]
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