Malraux publie La Condition humaine en 1933, un roman à mettre en corrélation avec la nouvelle perception du monde, inspirée par la philosophie de Nietzsche, qui apparaît dans l'entre-deux-guerres en littérature : "Dieu est mort, la croyance au Dieu chrétien est tombée en discrédit" (Nietzsche, Le Gai savoir), et avec lui, c'est la perspective de toute transcendance, de toute certitude qui meurt. Cette mort affirme non point le début du règne des lumières, mais l'expansion d'immenses ombres et l'effondrement de "notre morale européenne en sa totalité" (ibid.). En effet, loin d'être une annonce libératrice qui inaugurerait l'ère d'une humanité autonome, émancipée des asservissements religieux et autoritaires, cette annonce se donne sous la figure d'un ébranlement radical de tous les repères, la conception du monde par l'homme perdant son pôle de référence (...)
[...] On a pu découvrir les différentes passions qui conduisent Ferral, Tchen et Kyo à lutter et à mourir pour un idéal, qu'il soit celui de la toute puissance, de l'activisme terroriste ou de la dignité et de la fraternité, dans une optique de protestation contre la dignité humaine ou bien d'élévation de cette condition. L'homme est ce qu'il a fait, ce qu'il peut faire. Rien autre (La Condition humaine), ces personnages l'ont bien compris puisque, quels que soient leurs mobiles, ils choisissent tous l'action comme moyen d'agir sur le monde et d'échapper à la condition humaine. Peu à peu, l'auteur induit cependant que l'éthique personnelle qu'ils donnent à l'action est illusoire car elle se pose comme une ombre de Dieu excepté celle de Kyo. [...]
[...] Ferral fait de lui un objet, un instrument, il nie son humanité et son intelligence : Ferral regardait le directeur comme il le faisait en ce moment ; ce qui suffisait à le faire taire. [ ] Il ne pouvait supporter que Martial attribuât à sa perspicacité les renseignements de ses indicateurs et, [Martial] ne pouvait supporter cette insolente indifférence, cette façon de le réduire à l'état de machine, de le nier dès qu'il voulait parler en tant qu'individu et non transmettre des renseignements. [...]
[...] En effet, Ferral, voyant le monde économique, qu'il avait cru dominer, fuyant et contingent, se sent comme écrasé, dépendant, et cherche donc la preuve de son pouvoir dans sa relation avec Valérie dans laquelle il pense réaffirmer sa puissance : il y avait dans cette femme dont il ne dépendait pas, qui dépendrait tout à l'heure de lui ; l'aveu de soumission de ce visage possédé, comme une main plaquée sur ses yeux lui cacheraient les contraintes enchevêtrées sur lesquelles reposait sa vie. [ ] Un corps conquis avait d'avance pour lui plus de goût qu'un corps livré (ibid.). Ferral se convainc donc de sa puissance dominatrice mais on remarque que cette relation lui sert de refuge, d'échappatoire aux angoisses de la vie. [...]
[...] Pour pouvoir vivre sans devenir fou, il faut donc savoir pourquoi on vit, qu'est-ce qui nous pousse à continuer à vivre et à agir. Tchen trouve une réponse dans l'action terroriste. Malraux nous laisse voir à travers ses personnages ce que Pascal appelle la misère de l'homme sans Dieu et l'absurdité de la vie qui en résulte. Dans le chaos du monde qui l'entoure, Tchen semble avoir trouvé un refuge, une nouvelle philosophie dans le terrorisme, dans le meurtre, dont il fait une sorte de religion qui écarterait toute la légitimité de la vie, un substitut de Dieu. [...]
[...] Certes, Kyo ressent lui aussi l'angoisse de n'être qu'un homme, que lui- même mais les déductions qu'il fait de cette certitude sont bien éloignées de celle que Ferral avait : au lieu de lutter contre ce fait inéluctable en tentant de s'élever au rang de Dieu, ou du moins d'homme supérieur aux autres, Kyo accepte sa condition et agit pour son amélioration, pour la dépasser : Sans doute étaient-ils tous condamnés : l'essentiel était que ce ne fut pas en vain Pour que sa vie et sa mort ne soient pas vaines et absurdes, Kyo se bat contre l'humiliation, pour la dignité humaine. D'ailleurs, contrairement à Tchen, Kyo avait choisit l'action, d'une façon grave et préméditée, [ ] elle donnait un sens à sa solitude. [...]
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