A un siècle où la voix féminine a du mal à se faire entendre, les Oeuvres de Louise Labé, lyonnaise, sont publiées - en 1555 - du vivant de leur auteur et avec un privilège du roi. Outre l'entregent de Louise Labé que cette publication suppose, ce fait extrêmement rare a pu se réaliser grâce à un contexte historique et géographique plutôt favorable à une telle tentative d'émancipation culturelle. Cependant, malgré la revendication de cette liberté nouvelle et la volonté de reconnaissance, la poétesse n'oublie pas les risques que son entreprise implique et elle prend alors toutes les précautions possibles pour se prémunir contre la réprobation publique et la censure (...)
[...] Cependant, cette volonté d'affranchissement est nuancée par des réticences, des contradictions et de nombreuses précautions. En effet, l'auteur se plie, malgré la liberté apparente, à un certain nombre de contraintes. Elle affirme tout d'abord, après avoir revendiqué le désir de gloire et de pouvoir, que son entreprise littéraire n'était qu'un honneste passetems et moyen de fuir oisiveté ce qui induit que l'écriture féminine n'est pas une recherche de liberté mais plutôt une recherche de vertu. Louise Labé semble dans cette épître dédicatoire vouloir rassurer le lecteur, elle lui montre les saines intentions qui l'animent et tente de convaincre les hommes que tout ce qui résultera de cette nouveauté sera des choses profitables à tous, telles que l'émulation entre les femmes par l'exemple, et surtout l'émulation entre les sexes par la pratique culturelle qui suivra : nous aurons valù au publiq, que les hommes mettront plus de peine et d'estude aus sciences vertueuses, [et que] pource, nous faut il animer l'une l'autre a si louable entreprise D'autre part, elle déclare que ses écrits n'étaient pas destinés à être publiés mais qu'ils étaient réservés à un cercle privé, ce qui entre en contradiction avec la volonté de gloire exprimée peu avant. [...]
[...] La promesse d'un avenir glorieux pour les femmes qui l'imiteraient, l'appel féministe et le discours vindicatif sont rapidement atténués, voire même contredits, et c'est alors une démonstration beaucoup plus subtile de son talent qui transparaît à travers des écrits variés. Dès lors, on peut se demander comment Louise Labé parvient à faire reconnaître la singularité de son art poétique dans une œuvre déchirée entre affranchissement et asservissement. Nous observerons dans un premier lieu la volonté d'émancipation qu'incarne la poétesse, puis nous mettrons en évidence les contraintes auxquelles elle se soumet pour enfin souligner que la tension entre ces deux pôles et l'agencement de son œuvre sont au service d'une remarquable autocélébration. [...]
[...] Dans ces trois pièces en italien, un poète venu à Lyon est tombé éperdument amoureux de la poétesse, et lui demande de devenir son guide, lui promettant en retour de la louer comme jadis Pétrarque l'avais fait avec Laure : Soyez alors pour moi un guide secourable ! [ ] Et je consacrerai ma plume à votre gloire ! On trouve ces mêmes procédés d'héroïsation notamment à travers le dernier poème d'hommage, une ode massive, qui crée une image légendaire de Louise Labé en lui attribuant des qualités divines, guerrières et viriles. L'autocélébration se retrouve quant à elle dans l' Elégie II où l'amante vante ses qualités et affirme jouir de l'estime des grands esprits. [...]
[...] La liberté apparente de l'auteur est finalement très nuancée puisque pour échapper à la censure ou à la réprobation, elle doit assurer son lecteur de ses bonnes intentions, atténuer le caractère révolutionnaire de son entreprise et s'entourer de grands noms afin de faire reconnaître sa légitimité. Mais cette soumission aux contraintes peut aussi être perçue comme un choix maîtrisé : celui qui lui permet de s'ériger en tant que figure mythique. L'humilité présentée au début de l'œuvre, la fausse modestie, l'énumération de ses lacunes dans le domaine où elle voudrait voir les femmes exceller, forment l'image première que la poétesse donne d'elle. En le confortant dans ses préjugés, Louise Labé rassure le lecteur, mais il semble que c'est pour mieux l'endormir. [...]
[...] Par ailleurs, l'auteur connaît les dangers et surtout les pouvoirs de l'écriture, et comme le souligne Antoine Fumée dans le sonnet XXII, la poésie a un caractère indéniablement séducteur dont Louise Labé sait parfaitement faire l'usage. C'est donc à travers des références plus ou moins explicites et de subtiles manœuvres que Louise Labé va mettre en place une véritable autocélébration. Pour cela, elle n'hésite pas à établir un parallèle entre sa personne et des figures mythiques telles que Sémiramis, Royne tant renommee qui comme elle a montré louable exemple aus siens Elégie I ; Athéna Elégie III Sapho En s'inscrivant dans la lignée de ces femmes remarquables, Louise Labé se hisse elle-même à leur rang. [...]
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