D. Poirion a écrit : « Le Roman de la Rose raconte sur un mode merveilleux un amour banal. » (Roman de la Rose, Hatier, coll. Connaissance des lettres, 1962, p. 62). Dans quelle mesure ce jugement peut-il éclairer l'oeuvre de G. de Lorris ? Une dissertation de 3160 mots.
[...] Eros, la pulsion de vie, exprime alors sa fécondité. Mais aussitôt Thanatos survient, sans que le narrateur puisse même identifier ce danger léthal par la fascination : Au fond de la fontaine, en bas, il y avait deux pierres de cristal, que je contemplai avec une grande attention Les deux cristaux si merveilleux ne sont-ils pas les deux yeux d'une mère fascinante, qui capte son enfant et le retient sous son emprise, car son regard omniprésent attire en même temps qu'il terrifie. [...]
[...] Or le mythe de Narcisse est, lui aussi, associé à Méduse, dans la mesure où c'est le regard de la fascination qui est dangereux, un regard qui fixe et qui pétrifie, un regard destiné au sexe et que seule l'exhibition du phallus, de la vulve ou du bouton de rose peut dérouter et apaiser. Citons Pascal Quignard : Le mythe est simple. Un chasseur est médusé par un regard dont il ignore qu'il est le sien, qu'il perçoit à la surface d'un ruisseau dans la forêt. [...]
[...] 104-108. Idem, p.40-41. Pascal Quignard, Le Sexe et l'effroi, Gallimard, Paris p. 255. [...]
[...] Désormais, Amour a tous pouvoirs, il poursuit le rêveur de ses flèches, et va jusqu'à faire de lui son homme lige. La perte de soi dans l'autre n'est pas crainte mais recherchée, tel le petit enfant qui boit de ses yeux le regard et la voix de sa mère, aussi terrifiante soit-elle. Amour est celui qui détient la source de vie, source dont le rêveur se trouve privé, et qui lui appartient en droit. Si le rêveur permet à l'Amour d'entrer dans sa forteresse, les forces de vie et de mort scellées jusque là de façon précaire, pourront alors s'harmoniser, et le bouton de rose tant convoité deviendra accessible. [...]
[...] L'allégorie constitue le fonds du Physiologus, et de nombreuses autres œuvres ; cependant Guillaume de Lorris élabore avec maîtrise ces divers matériaux. Puisant dans le répertoire antique de merveilles naturelles, il introduit dans l'aventure humaine le surnaturel et l'irréel, tant sur un mode descriptif que narratif. Dans le Roman de la Rose, le merveilleux est le produit du rêve, mais il permet surtout à l'auteur de pouvoir écrire une fiction sur le désir pulsionnel d'un jeune homme de vingt ans, en épurant les réalités de la chair et du sexe, et en les sublimant par l'allégorie. [...]
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