De Ronsard à Hugo, des poèmes extraits de Sur la mort de Marie au "Demain dès l'aube" de l'auteur des Contemplations, les poètes ont toujours cherché à combler de mots la place laissée vacante par le départ de l'être cher. Le poème en prose de Julos Beaucarne, extrait de Bornes acoustiques 67/88, et que l'on se proposera aujourd'hui d'étudier, s'inscrit à l'évidence dans cette lignée séculaire de la poésie lyrique, voire élégiaque, en tant qu'il dit la douleur d'avoir perdu la femme aimée, de surcroît dans des conditions particulièrement sordides. Mais comme nous le verrons, Beaucarne ne se contente pas d'entonner le chant du deuil : au-delà de la sphère de l'intime, il entend, par cette lettre ouverte aux hommes de bonne volonté, transcender l'événementiel et accéder à l'universel en nous enjoignant de nous aimer - "littéralement et dans tous les sens", comme eût dit Rimbaud - pour "remettre d'aplomb et d'équerre" un monde qui aurait oublié les valeurs fondamentales qui le fondent.
(...) Tout à la fois poème épistolaire, lettre ouverte et profession de foi, le texte de Beaucarne est donc tout d'abord un chant de deuil qui relève du registre lyrique, voire élégiaque, et en a les caractéristiques : utilisation de la première personne et expression du sentiment personnel, sans oublier le fait qu'il s'adresse explicitement aux lecteurs qu'il sollicite. Écrit dans l'urgence, sous l'effet de la douleur et du sentiment de révolte, il tente de dire l'absence de l'être aimé - et de sublimer la terreur de la séparation - en le nommant de la façon la plus familière, la plus intime, comme on le ferait dans un journal du même nom ou dans une lettre : "Ma Loulou" (l.1), "mon petit amour à moi" (l.6). Beaucarne n'hésite pas à employer ces formes hypocoristiques, comme ce "à moi" qui vient redoubler le sens de l'adjectif possessif ; formes qui tranchent avec la forme de plaidoyer que prend le texte par la suite. Mais cette apparente impudeur n'est que de façade : en réalité, Beaucarne ose à peine dire que sa femme est morte puisqu'il a recours à des expressions qui sont tout à la fois des périphrases et des euphémismes ("Ma Loulou est partie pour le pays de l'envers du décor" l.1) (...)
[...] Beaucarne n'hésite pas à employer ces formes hypocoristiques, comme ce à moi qui vient redoubler le sens de l'adjectif possessif ; formes qui tranchent avec la forme de plaidoyer que prend le texte par la suite. Mais cette apparente impudeur n'est que de façade : en réalité, Beaucarne ose à peine dire que sa femme est morte puisqu'il a recours à des expressions qui sont tout à la fois des périphrases et des euphémismes Ma Loulou est partie pour le pays de l'envers du décor l.1). [...]
[...] b L'absence d'au-delà Cette poétisation est peut-être une façon de dissimuler ce que l'on pourrait appeler l'oubli de Dieu. Comment dire la mort autrement que poétiquement, si elle est sans transcendance ? Comment admettre l'existence de Dieu quand Il laisse les êtres se liguer les uns contre les autres et se détruire ? En utilisant des termes ambigus Un homme lui a donné neuf coups de poignard dans sa peau douce Beaucarne semble presque assimiler le meurtre à un acte d'amour qu'une main maléfique aurait détourné au dernier moment de son but originel. [...]
[...] On voit ce que la métaphore a de profond : mises côte à côte l'une de l'autre, ce sont les convictions humaines et les preuves infinitésimales de tendresse qui, comme les arbres, repeupleront l'âme humaine (l.15) : c'est l'amour porté individuellement à chacun de ceux qui vous sont proches qui aura quelque chance on veut l'espérer de donner à l'amour sa dimension universelle. Conclusion. Propos de poète, dira-t-on, et que dément chaque jour la réalité. Paroles illusoires, dira-t-on peut-être avec quelque raison . Mais n'est-ce pas là le rôle premier du poète que de dire le monde tel qu'il devrait être, tout au moins dans l'espace qui lui est imparti celui du poème ? À l'évidence, le texte de Julos Beaucarne transforme le discours lyrique en discours politique, au sens fort de ce terme. [...]
[...] Paradis improbable qui lui rend donc plus nécessaires que jamais ses amis de l'ici-bas ses lecteurs, ses semblables, ses frères . c La solitude Reste la solitude et la cruauté de la séparation. La solitude, c'est ce poids à porter en plus dans une vie qui ne s'autorise pas le renoncement, mais qui fait de l'homme blessé une sorte de veilleur. Le poète utilise la métaphore du capitaine qui ne quitte pas son navire quand il sombre : je resterai sur le pont ou encore celle du jardinier qui continuera à cultiver ses plantes de langage Les deux métiers exigent une grande humilité face aux caprices de la nature, humilité dont se réclame sans cesse Julos Beaucarne : moi qui ne suis qu'un histrion, qu'un batteur de planches, qu'un comédien qui fait du rêve avec du vent La nécessité d'un combat a Le monde est malade Bien qu'il écrive sous l'injonction de l'événement, l'auteur n'est pas habité par un sentiment de vengeance personnelle, auquel il substitue comme pour le dépasser un sentiment de révolte. [...]
[...] Lagorce Commentaire composé Lettre à mes amis bien aimés Beaucarne d'être ces cœurs purs que Beaucarne appelle de ses voeux. Du moins est-ce le sens qu'il entend donner, a posteriori, à ce qui [lui] arrive Ainsi, la métaphore des lignes 12-13, le monde est une triste boutique veut-elle peut-être signifier que les relations humaines se réduisent à des rapports marchands, boutique où chacun vient se servir et en premier lieu les prédateurs sur leurs victimes au mépris de tout respect de l'autre et de toute chaleur humaine. [...]
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