Dès 1870, dans Soleil et Chair, le jeune Rimbaud souffrait des limites que nous impose une vision trop rationnelle du monde. Nous ne pouvons savoir ! Notre pâle raison nous cache l'infini. Déjà naissait en lui le rêve de la voyance que les Illuminations tentent de réaliser : Assez vu, assez eu, assez connu, crie-t-il dans "Départ", où il rejette les conceptions traditionnelles du monde au profit des visions que se veulent ses Illuminations, recueil de poèmes en prose où il nous livre des féeries et des architectures étranges, comme en témoigne "Les Ponts" (...)
[...] Concentrons-nous tout d'abord sur les dômes. Etymologiquement, ils viennent de domus qui signifie la maison, puis la masure. C'est une forme d'art traditionnel qu'il amoindrit ici ; mais c'est également une métaphore de la voûte céleste, que l'on retrouve au début et à la fin du texte. Il en va de même pour le terme de figures, qui appartient au vocabulaire de la géométrie et de l'architecture, mais également à ceux de la peinture, de la danse ou de la poésie il désigne en ce cas une figure rhétorique. [...]
[...] Dès lors, Les Ponts se révèle comme une pièce majeure de l'œuvre rimbaldienne, véhiculant une vision artistique fondamentale, dans la mesure où elle invite le lecteur à partager l'expérience de la voyance et, pourquoi pas, à se faire voyant à son tour. Egalité volumétrique totale ou très proche entre des membres de phrases qui se suivent. [...]
[...] Conclusion La vision complexe que le poète fournit des ponts se met donc au service d'une vision spatio-temporelle tout à fait inhabituelle et signe la rupture avec les différents topoï de la description traditionnelle. Par ce biais, Rimbaud transforme le réel, et fait de cette métamorphose le centre de gravité de son œuvre. En effet, le poète n'est autre qu'un voleur de feu, illusionniste subtil qui se joue de la gravité et des règles terrestres pour faire jaillir une surréalité méconnue. Mais comment fixer [ces] vertiges si présents et pourtant insaisissables ? En mélangeant les formes, en fédérant les arts, en jouant des correspondances si chères à Baudelaire. [...]
[...] D'ailleurs, on parle bien de pont musical entre deux thèmes ; on dit également que le violoniste file un son dans un seul coup d'archet, et nous retrouvons alors le verbe filent du poème. Enfin, les concerts seigneuriaux nous projettent à une époque où la poésie était chantée. C'est là toute la nostalgie du rêve rimbaldien : un langage universel unissant les mots et la musique. C Comment fixer [ces] vertiges ? Comment suggérer l'harmonie secrète entre les choses ? [...]
[...] Il affirme ainsi sa volonté délibérée de rejeter l'approche conventionnelle des ponts. Par le terme d'amoindrissement, il amoindrit la valeur esthétique et pose la suprématie de l'imaginaire sur le réel. De même, la présence des masures à l'horizontale anéantissent la verticalité amorcée par les mâts. Ce terme fait d'ailleurs implicitement référence à celui des bateaux, de même que la sirène de ces derniers peut se retrouver dans les accords de musique : ni le bateau ni la sirène ne seront pourtant explicités car ils demeurent trop réels. [...]
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