Les Mots est une sorte de roman « somme » qui permet à l'auteur, J.P. Sartre, à travers l'histoire de son enfance, de mener une étude de portée plus générale. Ce récit autobiographique est construit comme un diptyque, scindé en deux parties, la première est intitulée Lire, la seconde, Ecrire.
Nous sommes, dans cet extrait, au tout début de la partie Lire qui commence par la présentation de l'arbre généalogique de la famille de Sartre, rédigée sur un rythme soutenu au terme de laquelle s'ouvre une galerie de portraits. Mais peut-on alors parler de portrait du père de Sartre alors que celui-ci est décédé prématurément ? Il s'agira alors d'élucider, et ce sera l'objet de notre problématique, un premier paradoxe en répondant à l'interrogation suivante : comment la mort du père devient l'acte de naissance du fils ? Pour y répondre, deux axes de lecture sont alors envisagés (...)
[...] Sartre est donc élevé par ses grands-parents et sa mère. Il a donc une vision plutôt négative sur le fait d'avoir des enfants. C'est en ce sens qu'il affirme : Faire des enfants, rien de mieux ; en avoir, quelle iniquité Sartre n'accepte pas que son père l'ait abandonné, qu'il ne l'ait pas connu. Ainsi, prétend-il : Je passe d'une rive à l'autre, seul et détestant ces géniteurs invisibles à cheval sur leur fils pour toute la vie Une vision négative entretenue par son entourage Mais cette vision négative s'est aussi formée par les personnes qui l'ont élevées, en l'occurrence ses grands parents. [...]
[...] C La mort du père : un moyen d'échapper au déterminisme parental La distanciation même que Sartre prend en utilisant l'ironie pour raconter la mort de son père montre que, même si par la force des événements il en est détaché, cela lui a permis aussi de vivre, sans être déterminé en totalité par ce décès. En effet, l'affirmation selon laquelle il n'y a pas de bon père, c'est la règle semble corroborer cette analyse. Avec le temps, Sartre semble aussi psychologiquement s'être détaché du père et de la vision négative qu'on lui a imposée. C'est sans doute dans ce sens qu'il s'interroge sur ce décès : Fut-ce un mal ou un bien ? Et, qu'en définitive, il a fini par ne plus avoir d'opinion bien établie. Je ne sais conclut-il. [...]
[...] C'est ainsi qu'il affirme : Eût-il vécu, mon père se fut couché sur moi de tout son long et m'eût écrasé II Formation du caractère de Sartre A Le rapport freudien au père Tout être humain est le lieu de l'affrontement entre trois instances psychiques : le moi, le surmoi et le ça. Le Moi représente la conscience que l'on a de soi, qui réalise une sorte de compromis entre deux exigences, celle du surmoi et du ça. Quant au ça, il est la plus ancienne des provinces psychiques de l'être. C'est la partie de l'inconscient où résident des besoins impérieux autrement appelés pulsions, comme les pulsions de vie et de mort qui aboutissent à l'autodestruction, et Sartre, enfant, semble, par ses références mortifères au père, écartelé entre les deux pulsions. [...]
[...] Et si une pointe de regret de ne pas avoir connu son père émerge lorsque Sartre s'interroge sur la faculté que ce père a eu d'aimer : Il a aimé, pourtant, il a voulu vivre, il s'est vu mourir ; cela suffit pour faire tout un homme et même si cette pointe de nostalgie montre en filigrane, l'admiration que Sartre, rétrospectivement, porte à un homme, dans sa manière courageuse qu'il a eu de mourir, cet homme est vite oublié, conjointement à sa matérialité. On oublie l'homme en même temps que le portrait disparaît Un décès qui aurait pu déterminer toute sa vie, surtout que son père est décédé alors que J.P. Sartre était encore très jeune, ne l'a pas, selon lui, influencé dans sa vie d'adulte. Mais nous sommes en droit, sur ce point, de s'interroger sur la sincérité de Sartre et, peut-être, ne s'est-il pas ici conformé aux exigences du pacte autobiographique. [...]
[...] B Analyse du lien au père par Sartre adulte Construit comme une sorte de méditations, appuyé sur des expériences personnelles, dans cet extrait, Sartre utilise beaucoup de présents de vérité générale, et peu de présents de narration. Le présent de vérité générale marque les faits comme acquis, et la narration se fait au passé. C'est un récit rétrospectif. Sartre dépasse ainsi l'analyse personnelle pour une analyse psychologique, c'est alors dans ce sens qu'il affirme qu'on en tienne pas grief aux hommes Il entreprend surtout une anthropologie sociale. Les mots, titre de l'ouvrage, sont en réalité inexistants entre le père et le fils, et Sartre pallie l'absence de son père par de multiples compensations. [...]
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