Jean Giono, lorsqu'on l'interrogeait sur son roman Un roi sans divertissement – paru en 1946 – disait que s'il devait donner une définition de l'homme, elle serait la suivante : « L'homme est un animal avec une capacité d'ennui ». Phrase qui résume toute la tragédie de celui qui occupe la place primordiale dans ce roman : Langlois.
Langlois est un gendarme qui arrive dans un petit village de montagne, qui vit replié sur lui-même, pour élucider une série de disparitions inquiétantes de villageois. Il devine très vite qui est le coupable, avec l'aide d'un villageois, Frédéric II. L'auteur des disparitions – et meurtrier puisque les disparus sont morts – M. V est exécuté illégalement par le gendarme, qui donne ensuite sa lettre de démission et quitte le village, pour logiquement ne plus y revenir. Or, le contraire se produit : Langlois revient ! Entre temps, il est devenu commandant de louveterie...
[...] Langlois atteint véritablement sa vérité lorsque Anselmie a coupé la tête d'une oie et qu'il regarde, fasciné, le sang qui coule. Langlois contemple son âme dans le sang comme dans un miroir. C'est le sang qui le fascine, mais aussi son âme et ce qu'il y découvre. Cela se transforme en une auto-fascination, celle que connaissait le hêtre, autre monstre sacré du roman. Langlois découvre qu'il n'est qu'un roi sans divertissement et donc un homme plein de misères selon Pascal, mais quel roi ! [...]
[...] Non, Langlois reste simple puisqu'il continue de loger au Café de la Route tenu par Saucisse. Langlois devient mystérieux et, comme le disent les villageois, son œil noir fait un trou un peu plus profond qu'auparavant Ils disent aussi qu'il est monacal et militaire Les villageois, qui évidemment ne comprennent rien à cette attitude, reportent leur affection, et leur estime sur le cheval de Langlois qu'ils baptisent en secret Langlois Langlois correspond donc pour eux à un mystère insoluble. C'est pour cette raison que longtemps après son suicide, ils interrogent Saucisse pour essayer de résoudre l'énigme Langlois. [...]
[...] Anselmie raconte le passage où elle a dû décapiter une oie pour Langlois et le fait que celui- ci a simplement regardé couler le sang sur la neige blanche et pure. Nul ne peut comprendre, sauf peut-être Saucisse, que Langlois avait alors enfin compris quelle fascination le sang mais aussi le Mal pouvait exercer sur lui. De là sa tristesse infinie car il atteint la vérité, sa vérité. Il sait qu'il est désormais soumis aux mêmes pulsions que M.V et que la seule façon d'éviter de devenir un meurtrier est de se supprimer. Langlois est profondément intelligent. [...]
[...] Si Un roi sans divertissement est bien un roman policier, c'est là que se situe le vrai mystère : Langlois. Le mystère Langlois n'est donc pas encore entièrement résolu, et les narrateurs qui l'ont connu n'apportent pas plus de précisions. Il reste cependant un narrateur qui connaît bien Langlois : le romancier lui-même. Dans Noé, roman qui suit celui dont nous parlons, Jean Giono explique lui-même qu'au début, Langlois avait peu d'importance mais qu'il en prenait au fur et à mesure que le roman s'écrivait. [...]
[...] Un roi sans divertissement est le cheminement douloureux d'un homme apparemment ordinaire et cependant extraordinaire, qui atteint sa vérité et a donc la révélation de ce qu'il est au moment où il se découvre véritablement fasciné par le sang rouge sur la neige blanche et pure. Et Langlois, si royal, découvre cette vérité, à savoir qu'il lui faut choisir entre satisfaire ses pulsions meurtrières si proches de celle de M.V, ou au contraire se divertir une dernière fois mais se divertir si royalement que tout l'univers en soit éclaboussé. Langlois va plus loin que M.V dans le sens où il veut un divertissement à sa mesure. [...]
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