Dans la tragédie, la parole des personnages est-elle révélatrice ?

Résumé du document

Il semble qu'au théâtre tout passe par la parole et ainsi si une vérité est exposée, seul le langage semble être en mesure de le faire. Ainsi, dans l'antiquité, les grecs considéraient le théâtre comme la continuité de la parole démocratique. Cependant, un critique du XXe siècle propose de reconsidérer le statut de la parole théâtrale.

En effet, il affirme de manière un peu provocatrice que la vérité dans la tragédie n'est pas dévoilée par la parole des personnages qui fonctionne comme un élément au même titre que les actions pour créer une chaîne de causalité dont on ignore l'origine. Cependant, nous sommes en mesure de nous demander, si la parole n'est pas révélatrice, ce qu'elle a à nous dire (...)

Extraits

[...] Nietzsche dans la Naissance de la tragédie, évoque Apollon et Dionysos comme les deux figures de la tragédie. En effet, seul l'équilibre entre ces puissances permet le cours du spectacle tragique. Le dionysiaque, inspiré de Dionysos, dieu de l'excès, est la force de la tragédie, sa brutalité lorsque l'apollinien, inspiré d'Apollon est la belle forme qui permet de supporter le dionysiaque, une sorte de voile. Ainsi, le voile est nécessaire pour le déroulement de la tragédie : enlevez-le, il ne restera que le cri inaudible. [...]

[...] Ainsi, lorsque Basyle, dans la VIe scène de la première journée de La vie est un songe (Calderon), s'adresse à ses neveux Astolphe et Rosaure, il fait une récapitulation d'évènements passés (il a fait enfermer Sigismond suite à une fâcheuse interprétation des astres) qui font entrer le spectateur dans la vie intérieure et l'histoire personnelle du personnage. Celui-ci remonte le temps pour tenter d'y voir clair dans le présent immédiat où il doit agir. Le monologue récapitulatif apparaît alors comme une révélation par la parole du personnage. Le monologue peut également être l'expression d'un conflit intérieur à travers lequel le personnage en question dévoile ses sentiments, souvent multiples et antagonistes tels l'amour et la haine que porte en elle Hermione vis-à-vis de Pyrrhus dans Andromaque (Racine) : Sa mort sera l'effet de l'amour d'Hermione ? [...]

[...] En effet, à la fois révélateur et dissimulateur, il entraîne les personnages et les spectateurs dans un enchaînement de faits dont personne ne ressortira indemne. Révélateur car ressassant les instruments de l'énigme, à travers des personnages tels les oracles ou les devins ; personnages reclus, mis en retrait de la société, ils ne sont pas écoutés, la vérité qu'ils crient n'est pas crédible pour qui s'installe dans le déroulement logique et machinal de la tragédie. La parole dans la tragédie est donc un outil défectueux auquel on ne prête qu'un intérêt relatif, ce qui importe n'est pas là, c'est cette machine infernale à travers laquelle l'homme se découvre : Dire ce qui est on ne le peut pas, mais le redire sans répit (Duboucher). [...]

[...] Dès lors, la parole des oracles annonce le destin d'Œdipe. Toute la vérité est ainsi révélée et répétée à de multiples reprises, le langage dans la tragédie est donc performatif. Dans le prologue de Roméo et Juliette (Shakespeare), le chœur informe le spectateur de la fin tragique des évènements : Deux amants prennent vie sous la mauvaise étoile / Leur malheureux écroulement très pitoyable / Enterre en leur tombeau la haine des parents Ainsi, avant même que la pièce n'est réellement commencé, le public sait comment se finira l'histoire : par la mort des deux amants. [...]

[...] Il n'y a alors réellement dévoilement que pour le spectateur qui souffre à la place des personnages, dévoilement de son identité et de ses propres pulsions. En effet, les personnages n'ayant pas d'âme et les acteurs récitant un texte dont ils connaissent les moindres fils, les seuls à même à se dévoiler sont bien les spectateurs. Il est vrai que les acteurs restent dans l'illusion, ne pouvant prendre le recul nécessaire vis-à-vis de la scène pour prendre conscience du spectacle tragique lorsque les spectateurs confrontés à la vue de ce spectacle, s'éprouvent dans une réalité quoi leur est propre. [...]