En achevant superbement le chapitre X de ses Caractères, « Du souverain et de la République », dans une apostrophe lyrique, La Bruyère nous offre le portrait d'un roi absolu, grandi, déifié, servi par un style qui marie rupture et continuité. Cette remarque 35 s'impose comme la conclusion de ce chapitre, c'est-à-dire qu'elle en fait à la fois le bilan et l'élargissement de ce que La Bruyère a développé auparavant, à savoir surtout le rôle du souverain et de son entourage dans un État monarchique, après avoir consacré quelques remarques à la République. Ce qui intéresse La Bruyère, c'est le souverain, parce qu'il est le centre de l'État monarchique, qu'il estime le meilleur de tous par principe, comme il l'explique dans sa première remarque (...)
[...] Chacun de ses pans de phrases, fondées sur l'oralité et sur les ruptures qui ne brisent pas le mouvement du texte célèbre la grandeur du souverain et développe une isotopie de la vertu. Le souverain, pour l'auteur, doit être l'exemple, le meilleur d'entre tous les Français, et appuie l'idée qu'il y a un gouffre entre le souverain et le reste de la nation, comme il y en aurait entre Dieu, les archanges, les anges et les hommes ; la hiérarchie et l'harmonie des contraires se retrouve partout dans ce texte et son emphase ne sert qu'à appuyer ce système en lequel La Bruyère croit autant qu'en son propre souverain dont il a vient d'achever le caractère : Louis XIV. [...]
[...] Celui-ci est le plus important de tous et il est décrit en conséquence : de manière monumentale. Il doit en effet réunir tous les contraires, fabriquer toutes les harmonies, mettre d'accord chacun et réaliser le rêve du moraliste en mettant fin à l'intérêt privé pour donner le prélat à l'intérêt public : la foi de La Bruyère en la monarchie se trouve peut-être dans l'espoir qu'un souverain éclairé fasse passer le peuple avant tout, ce qui serait la prétention d'une république, qui y échouerait nécessairement sous la tyrannie du nombre. [...]
[...] Cette lourdeur, cette impression foisonnante, ces ornementations issues de notre imagination ne sont que des illusions : loin de révéler des traits baroques, cette emphase lyrique, cette masse de détails qui tendent vers une totalité, une idée directrice, semble être l'aboutissement de l'écriture classique. Dans la prose de la Bruyère, tout semble métré comme dans les vers, le rythme remplaçant la rime, invitant à dire ce texte, à le clamer, à le déclamer. Pour le moraliste, l'oralité de son texte et le côté plaisant deviennent d'autant plus essentiels qu'il ne profite pas de l'argument du muthos, et qu'il doit cependant être lu. [...]
[...] Sa dureté n'a d'égal que sa blancheur sous la plume de La Bruyère : intéressé par le bien de son peuple et par sa gloire, l'idole royale est d'abord un acteur qui fait vœu à la fois de certitude et de modération, sa puissance doit rayonner ainsi que sa blancheur. D'une apparente transparence, le cœur ouvert, sincère, dont on croit voir le fond il doit être d'une parfaite plénitude, du sérieux et de la gravité en publique et porter la charge de son secret, comme il est fait référence plus tôt dans le chapitre. [...]
[...] On sait que les deux grandes qualités pour La Bruyère sont la vertu et l'humanité, mais qu'est-ce que l'auteur entend réellement par vertu ? Il est a priori évident qu'un admirateur des anciens, et ici, de Théophraste, dont il a traduit les Caractères du grec au français, utilise des mots renvoyant aux concepts que les anciens avaient forgés. Ainsi la vertu chez les grecs signifie : la qualité d'un homme qui fait passer le bien commun avant le bien particulier, elle est ainsi le fondement de la politique. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture