La meilleure manière d'aborder la question des personnages d'une pièce de théâtre est peut-être d'observer le tableau de présence des acteurs. Le dramaturge doit songer dès l'écriture à cette mécanique complexe qui consiste à faire se succéder sur scène les différents comédiens de façon à imprimer un mouvement et un sens à la pièce. On peut d'ailleurs observer que, dans Le jeu de l'amour et du hasard, tous ou une partie des personnages présents sur scène le restent dans la scène suivante, ce qui rend plus naturels les changements d'acteurs.
Les comédiens, avant d'accepter un rôle, regardent attentivement ce tableau, qui leur donne une idée assez précise de l'importance respective des rôles (...)
[...] Bien sûr, le spectateur sait que la servante n'en est pas une, mais le temps d'un jeu on s'est amusé avec la hiérarchie sociale, ce qui renvoie à la fonction profonde du déguisement et du théâtre : faire apparaître la vérité, comme dans Hamlet ou comme dans Uillusion comique de Corneille. Dorante, deuxième personnage de la pièce par le nombre de scènes est le jeune premier idéal, bien sous tout rapport. Le portrait flatteur que font de lui Lisette (acte scène1) puis Orgon (acte scène ne laisse guère de doute. [...]
[...] C'est que les dés sont pipés et le jeu de l'amour truqué ; après avoir vu Silvia, Dorante est ébloui et ne voit plus qu'elle : c'est la surprise de l'amour. Pour Silvia, le phénomène est inversé : Arlequin lui inspire une telle aversion que son opinion est faite immédiatement et elle passe la pièce désormais à l'éviter, leur unique rencontre dans l'acte II, scène 6 ne faisant qu'accroître sa répulsion Le vilain homme ! Marivaux renonce donc sciemment à deux des combinaisons possibles, ce qui soit dit en passant permet de faire accepter l'invraisemblance de la situation : confrontée plus longuement à Arlequin, comment Silvia aurait-elle pu ne pas comprendre que Dorante a eu la même idée qu'elle ? [...]
[...] En réalité, ils parlent nettement moins que Silvia et Dorante, et leur présence sur scène, discrète mais constante, est révélatrice de leur fonction. Leur, car Orgon et Mario sont presque toujours ensemble : dans 10 scènes ils apparaissent tous les deux, Orgon apparaît 5 fois sans Mario, Mario 3 fois seulement sans Orgon et uniquement à partir de la scène 13 de l'acte II. M. Orgon, bon père avant tout soucieux du bien-être de sa fille, veuf probablement (où est la mère et antithèse des pères coléreux et tyranniques de Molière, apparaît (presque toujours en duo avec Mario), surtout au début et à la fin de la pièce. [...]
[...] Et le jeu des couples réels est cruel pour les valets dont l'accoutrement plutôt que le déguisement fait ressortir le ridicule. En contrepoint, le couple Silvia/Dorante joue une tout autre partition, plus nuancée, élégante et raffinée. Et le ridicule des uns sert de faire-valoir à la délicatesse de sentiments des autres. La mise en scène et le jeu des acteurs pourront à l'infini modifier les relations entre les deux couples en augmentant ou en diminuant la distance qui les sépare. [...]
[...] Et les personnages que nous voyons sur scène jouent un rôle, avec plus ou moins de bonheur : tout le plaisir de jouer Arlequin réside dans le fait que le valet, maladroit, surjoue le rôle du maître, trahissant ainsi sa condition de valet. Il s'agit donc pour le comédien de jouer en montrant qu'il joue, de jouer bien un acteur qui joue mal Que le sort est bizarre ! aucun de ses deux hommes n'est à sa place.»: tel est le principe du Jeu de l'amour qui renvoie à la fonction même du jeu théâtral: le déguisement, le masque révèlent plus sûrement que la vie et le théâtre dit le fond des choses. Le Jeu de l'amour . [...]
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