C'est en juillet 1944, soit quarante-deux jours avant sa mort, que Jacques Roumain, romancier haïtien mais aussi poète, journaliste, ethnologue et militant marxiste, a achevé l'écriture de son roman Gouverneurs de la rosée. Il fut publié après sa mort tragique et prématurée à l'âge de 37 ans. Dans ce roman, il décrit et dénonce avec justesse et profondeur la souffrance de son peuple liée au contexte politique et économique d'Haïti dans les années 1940.
Mais ce roman, s'il possède une portée politique indéniable ne peut s'y réduire. En effet, Gouverneurs de la rosée est avant tout une magnifique histoire poétique, aux allures de conte ou de fable, pleine de valeurs et d'espoir à portée universelle. Cet extrait est l'annonce du décès du héros, Manuel, qui s'est sacrifié pour redonner l'eau à son village (...)
[...] En leur donnant l'eau Manuel leur a donné la source, la possibilité de faire renaître la vie. Ainsi, il leur a donné la possibilité de faire renaître la terre et les plantes et même de faire renaître chez eux leur droit de s'appeler un homme Mais pour que sa mort soit bien synonyme de promesse de renaissance pour ces hommes et leur terre, il fallait qu'ils s'unissent. En effet, la solidarité et la cohésion de ces hommes était le seul moyen, selon Manuel, pour donner vie au monde : la réconciliation, la réconciliation pour que le jour se lève sur la rosée Et comme on peut le constater il avait raison, la fraternité de la communauté produit ses fruits : le reflet de douceur qui passe sur le visage de Délira semble être le reflet de ce nouveau jour qui se lève enfin, apportant avec lui sa promesse de vie. [...]
[...] Avec intelligence, Roumain démontre la nécessité de l'union et de la solidarité pour faire face à l'injustice, tout comme celle de la lutte et de l'instruction pour maîtriser son existence. Le message est clair : il faut laisser de côté les superstitions et rituels archaïques (cf vous avez offert le sang des poules et des cabris pour faire tomber la pluie tout ça a été inutile. l'homme doit se rendre lui même maître de son propre destin, par le travail, la bravoure et le don de soi parce que ce qui compte, c'est le sacrifice de l'homme, le sang du nègre. [...]
[...] Ainsi, grâce au pathétique et la noblesse de la scène, restitués par la vieille dame, Manuel renaît en héros. Et il va être enfin reconnu comme tel de tous : en vérité, en vérité, ton garçon était un nègre tout de bon, un habitant jusqu'à la racine de l'âme, on ne verra pas son pareil de si tôt L'identité de Manuel est ainsi réhabilitée et reconnue pour son héroïsme. En tant que héros sa mémoire est dès lors immortelle, portée par les vivants elle sera célébrée. [...]
[...] Les lectures que nous faisons encore aujourd'hui des œuvres d'auteurs disparus font renaître avec elles la pensée de leur auteur, les préservant ainsi de la mort et de l'oubli. Par l'écriture, les auteurs s'inscrivent dans l'immortalité, leur pensée, chaque fois ressuscitée, échappe à la mort et l'oubli. On le voit ce texte est bien synonyme de renaissance, de résurrection. Par la vertu unificatrice de la parole et du langage, le lien renaît et redonne avec lui vie nouvelle, au monde et aux êtres qu'il ressuscite et sublime (avec Manuel qui renaît en héros). [...]
[...] II En s'unissant les habitants ne font pas que renaître leur droit de s'appeler homme et le monde ils ressuscitent un héros. Si Manuel est mort il va peu à peu renaître et être reconnu en héros tout au long de cette scène Ses paroles sont portées par Délira qui les incarne. En effet, ce n'est pas elle qui s'exprime dans cette scène, c'est bien Manuel, comme elle le précise aux habitants : je ne suis pas venue vous raconter ma peine je suis venue vous rapporter la dernière volonté de mon garçon ; j'aurais voulu répéter à Gervilen Gervilis les paroles de mon garçon. [...]
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