Le théâtre de dérision ou théâtre de l'absurde est un courant littéraire qui s'est développé après la seconde guerre mondiale et qui vise à montrer l'absurdité de la condition humaine. Les principaux dramaturges qui l'ont pratiqué ? Adamov, Beckett, Genet ou encore Ionesco - affirment dans les années 1950 leur volonté de rupture par rapport aux conventions littéraires et leur refus du théâtre engagé institué par l'allemand Brecht.
Ils revendiquent un théâtre de liberté qui ne soit ni didactique ni idéologique. Mais dans les années 1960, le théâtre engagé triomphe et Ionesco fait figure d'anti-Brecht. Il souhaite se renouveler et propose en 1962 Le Roi se meurt, mettant en scène la lente agonie du roi Bérenger, qui se révolte contre cette fatalité mais qui, influencé par ses proches, finit par s'y résigner (...)
[...] Mais le dramaturge met aussi en avant la face noire de Bérenger, tyran capable de tuer pour se maintenir au pouvoir, comme le lui rappelle Marguerite pour l'encourager: Tu as fait massacrer mes parents, tes frères rivaux, nos cousins et arrières-petits-cousins, leur famille, leurs amis, leur bétail. Tu as fais incendier leurs terres (p.69). L'énumération des victimes accentue la cruauté du roi. Bérenger va même jusqu'à inciter les autres à se sacrifier pour qu'il conserve la vie (p.61). Cela illustre son état de panique mais en fait également un être de pur égoïsme. Tout cela concourt à en faire un personnage ambivalent auquel le spectateur ne peut pas totalement s'identifier (même s'il le peut partiellement), et dont il peut se moquer. [...]
[...] Effectivement, Ionesco recourt à ces procédés pour créer une alliance guignol-tragique poussée à l'extrême. Il affirme d'ailleurs dans Notes et Contre-Notes : Il fallait non pas cacher les ficelles, mais les rendre plus visibles encore, délibérément évidentes, aller à fond dans le grotesque, la caricature, au delà de la pâle ironie des spirituelles comédies de salon [ Pousser tout à son paroxysme, là où sont les sources du tragique. Faire un théâtre violemment comique, violemment dramatique C'est exactement ce qu'il réalise dans Le Roi se meurt: il pousse à son paroxysme une théâtralité qui mêle guignol et tragique Deux exemples, parmi d'autres, peuvent illustrer la dimension extrême que prend cette alliance dans la pièce. [...]
[...] D'autre part, Ionesco propose deux types de comportements à adopter face à la mort. Ces deux attitudes correspondent aux deux faces de la féminité incarnées par Marie et Marguerite. Marie conseille au roi de vivre dans l'instant en ne considérant la mort que comme un mot Elle lui recommande de profiter du présent et d'évacuer ainsi l'angoisse de la mort: Laisse toi inonder par la joie, par la lumière, sois étonné, sois ébloui (p.75). Marguerite, au contraire propose au roi de s'y préparer en se libérant de toutes les choses superficielles de l'existence : ces boulets que tu traînes, c'est cela qui entrave ta marche (p.132). [...]
[...] Cette solitude de l'homme face à la mort renforce le tragique. Le Roi se meurt présente donc certains aspects tragiques parce qu'il met en scène un homme dont le destin est de mourir à la fin de la pièce, et exhibe sa solitude, son impuissance et sa déchéance. Mais cette pièce utilise aussi des éléments propres au théâtre de Guignol et parodie le genre tragique. D'une part, comme la marionnette Guignol, le théâtre de Ionesco crée des effets comiques grâce aux éléments paraverbaux, et notamment à la mécanisation du vivant. [...]
[...] On peut donc dire qu'en un sens le guignol naît ici du tragique. Inversement, lorsque le roi se remémore son petit chat roux (p.111), la scène est comique puisqu'elle instaure un décalage burlesque entre sa fonction royale et son attachement à un souvenir très banal. Néanmoins, cette évocation intensifie la tension tragique puisqu'elle contribue à l'humaniser et peut favoriser ainsi chez le spectateur un sentiment de pitié pour Bérenger. Ces deux exemples, qu'on pourrait multiplier, montrent à quel point le guignol et le tragique se construisent l'un avec l'autre dans cette œuvre. [...]
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