Dans la première partie du passage page 206, Magnus apparaît comme dominant, acteur de son destin : c'est lui qui dirige l'action, lui qui tend le piège dont le vieillard doit faire les frais. D'ailleurs, les propositions déclaratives courtes dans lesquelles il est sujet de verbes d'action, suggèrent cette main mise sur les événements : "Magnus se lève et se dirige vers un des serveurs, il lui dit qu'il aimerait faire une surprise à sa femme" puis un peu plus loin : "Magnus revient auprès de Peggy, il se place de façon à mieux voir le dénommé Walter Dörlich" (...)
[...] Croyant prendre au piège, c'est lui qui est pris au piège de cette voix qui l'a si souvent enchanté autrefois quand il était enfant et à laquelle il ne veut plus succomber. Le mal être est tel que le personnage ne voit plus réellement ce qui l'entoure mais est en proie à une hallucination: il croit revoir le rideau rouge du salon de la maison de son enfance, rideau théâtral qui symbolise l'atroce comédie qu'on lui jouait alors et dont il était le naïf spectateur. [...]
[...] Puis apparaît enfin l'esprit de l'amour qui avance et agit partout». La dernière occurrence de la chanson mentionne en finale le regard de la bien aimée illuminant le monde d'un éclat céleste». Le chant évoque donc une progression de l'amour allant de l'obscurité à la lumière, du crépuscule extérieur du monde naturel à la lumière diffusée par les yeux de la femme aimée sur ce crépuscule. En parallèle à cette évocation lyrique, (et en contraste avec elle)Magnus va vivre les étapes intenses d'un véritable martyre orchestré par la fantastique et inquiétante bouche de Walter Dörlich, bouche symbolique ici de la dimension dévoratrice monstrueuse du personnage (cette bouche fait penser à celle d'un ogre): sa bouche s'ouvre en grand, en abîme d'ombre et de douceur, une douceur qui pue la mort puis , la bouche d'ombre cernée d'un ovale blanc module l'incantation et enfin la bouche nocturne se referme lentement comme à regret dans un plaisir sensuel». [...]
[...] Alors que Magnus a invité à ce restaurant Peggy qu'il vient de demander en mariage, il est soudainement frappé, à l'occasion d'un chant entonné, par la voix d'un des convives de la table à côté. Il croit reconnaître cette voix comme celle de son père adoptif, Clemens Dunkeltal, pourtant déclaré mort en exil à, la fin de la seconde guerre mondiale. Dans le passage qui nous concerne, Magnus veut en avoir le cœur net et il va par un "subterfuge" tenter de vérifier l'identité du vieux chanteur. Le chant va entrainer un remous d'émotions sur Magnus venant de sa plus tendre enfance. Heureusement, la femme aimée est là pour l'aider à surmonter la douleur. [...]
[...] Peggy est pour Magnus l'antidote qui le sauve du passé morbide qui l'assaillait. Heureusement, le chant s'achève et avec lui, la vision fantastique du rideau rouge. Le chanteur maléfique redevient un brave vieillard à barbiche et Magnus en vient à douter de ses soupçons: «certainement s'est-il trompé, a-t-il été le jouet d'une confusion qui s'est exacerbée en hallucination». Une fois de plus, Clemens Dunkeltal a trompé Magnus, lui faisant croire à un personnage qu'il n'est pas et allant même jusqu'à semer paradoxalement en lui la culpabilité, ici, celle d'avoir impliqué, à son insu la femme qu'il aime dans une expérience dangereuse en lui mentant: «quand Peggy rit de son subterfuge amoureux, il se sent assez minable Cette progression repose sur deux phénomènes textuels parallèles. [...]
[...] Son attitude elle-même est celle d'un homme sûr de lui, de son charme, de son emprise. Ainsi, dès la demande du serveur, il cherche des yeux sa proie la femme que son chant va (il en est certain) subjuguer sous les yeux même du mari: L'autre sourit, regarde autour de lui, cherchant certainement la charmante épouse à laquelle est dédié Geist der liebe". A partir du moment où le vieil homme se lève pour chanter, sa domination sur l'ensemble de l'assistance compris sur celui qui croyait le piéger, Magnus) s'accroit encore. [...]
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