Salles privées, scènes nationales, ateliers d'amateurs, autant d'opportunités pour le public de se rendre au théâtre. Il s'agit toujours d'une démarche consciente, volontaire et la plupart des spectacles affichent "complet". Un tel succès attesté depuis des siècles amène à se demander ce que l'on vient chercher au théâtre.
La première explication réside forcément dans l'occasion de se distraire qu'offre le théâtre. Mais au-delà de ce qui peut sembler peu ambition, il convient de reconnaître au théâtre une vocation plus intellectuelle (...)
[...] Feydeau n'a jamais quitté l'affiche à Paris et l'Hôtel de libre échange où se croisent mari adultère et épouse soupçonneuse déclenche l'hilarité. Quand on parle de Feydeau, il faut penser aux portes qui claquent sur des intrigues impossibles à résumer. Feydeau pousse l'audace de l'absurde et de l'invraisemblable si loin que le public est forcément fasciné devant tant de maîtrise : le dramaturge semble marcher sur la corde raide et jusqu'au bout on se demande comment cela va finir. Des pièces moins totalement comiques provoquent aussi beaucoup de plaisir au public. [...]
[...] Quoi qu'il en soit, les coulisses restent à leur place ; le public a beau savoir que la vie hors de l'espace scénique cesse complètement, il fait bien volontiers semblant de croire que les deux personnages qui font mine d'aller s'entretenir dans une autre pièce le font pour de bon. Et quand bien même un éclair de lucidité ferait entrevoir le travail du machiniste ou de l'habilleuse derrière les rideaux, le public n'en serait pas moins fasciné par cet ouvrage invisible et si perceptible pourtant. Au-delà de l'espace scénique, le théâtre tout entier revêt une dimension particulière. [...]
[...] Des auteurs plus actuels connaissent de francs succès populaires, comme Yasmina Réza avec Art qui joue sur deux registres : on peut s'émouvoir de la crise que traversent les trois amis, mais on rit de leur différend sur l'art contemporain quelque peu caricaturé : Serge, tu n'as pas payé cette merde blanche francs ? Enfin, le dernier critère assurant un divertissement complet est celui des comédiens. Des noms attirent pour eux-mêmes un large public : c'est le cas de F. Lucchini, P. Arditi et bien d'autres. Il est donc indéniable que l'envie de se distraire est l'une des grandes motivations du public de théâtre. Pourtant, il serait par trop réducteur et appauvrissant que la fonction du théâtre se limite à cela. [...]
[...] Il est certes possible de découvrir une pièce de théâtre par le seul contact avec le texte. Mais les potentialités d'un texte sont décuplées par la mise en scène. Quand on se demande si une pièce est faite pour être lue ou pour être vue il faut se dire que les deux se complètent mais que sans la scène le théâtre perdrait une grande partie de sa raison d'être ; en allant au théâtre, on va chercher du plaisir, de la beauté et de la stimulation intellectuelle. [...]
[...] Le public vient chercher d'abord un langage qui est à la fois celui de tout autre mode d'expression, et qui en même temps a ses propres codes. Nous faisons semblant de croire que le personnage de théâtre a une vie en dehors de la scène et même bien avant le début de la pièce. Et comme nous devons apprendre à connaître ces gens chez qui nous faisons irruption, nous trouvons tout naturel de nous entendre préciser ce qu'il font, ce qu'il sont les uns par rapport aux autres, alors que jamais dans la vie nous n'explicitons ces vérités : c'est ce que l'on appelle la double énonciation dont use et abuse Molière dans la première scène de Tartuffe : C'est moi qui vous le dit, qui suis votre grand-mère souligne Madame Pernelle à son petit-fils. [...]
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