Gustave Flaubert, "Madame Bovary", Partie III, Chapitre 1 : commentaire d'extrait
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Résumé du document
Pour l'introduction :
Situation du passage : jeune homme timide lors de sa première rencontre avec Emma, Léon a changé pendant ses trois années d'étude à Paris, mais il est toujours hanté par l'idée de posséder Emma.
Revenu à Rouen, il a rencontré par hasard les Bovary à l'opéra et alors que Charles est retourné à Yonville, il rejoint soudain Emma à son auberge pour la séduire. Après une conversation sur le passé, Léon s'enhardit. Problématique de lecture : comment Flaubert, par les ressources de la narration romanesque, ridiculise-t-il une scène romantique ? (...)
Sommaire
Introduction
I) Une conversation d'apparence romantique
A. Des circonstances qui semblent romantiques B. Un dialogue amoureux aux accents romantiques
II) Un décalage ironique avec les clichés du romantisme
A. Le cadre de la conversation B. Un regard ironique sur les personnages et leur conversation C. Des indices tragiques ?
Conclusion
Texte étudié
Ils entendirent huit heures sonner aux différentes horloges du quartier Beauvoisine, qui est plein de pensionnats, d'églises et de grands hôtels abandonnés. Ils ne se parlaient plus ; mais ils sentaient, en se regardant, un bruissement dans leurs têtes, comme si quelque chose de sonore se fût réciproquement échappé, de leurs prunelles fixes. Ils venaient de se joindre les mains ; et le passé, l'avenir, les réminiscences et les rêves, tout se trouvait confondu dans la douceur de cette extase. La nuit s'épaississait sur les murs, où brillaient encore, à demi perdues dans l'ombre, les grosses couleurs de quatre estampes représentant quatre scènes de la Tour de Nesle, avec une légende au bas, en espagnol et en français. Par la fenêtre à guillotine, on voyait un coin de ciel noir entre des toits pointus. Elle se leva pour allumer deux bougies sur la commode, puis elle vint se rasseoir. - Eh bien... fit Léon. - Eh bien ? répondit-elle. Et il cherchait comment renouer le dialogue, interrompu, quand elle lui dit : - D'où vient que personne, jusqu'à présent, ne m'a jamais exprimé des sentiments pareils ? Le clerc se récria que les natures idéales étaient difficiles à comprendre. Lui, du premier coup d'oeil, il l'avait aimée ; et il se désespérait en pensant au bonheur qu'ils auraient eu si, par une grâce du hasard, se rencontrant plus tôt, ils se fussent attachés l'un à l'autre d'une manière indissoluble. - J'y ai songé quelquefois, reprit-elle. - Quel rêve ! murmura Léon. Et, maniant délicatement le liséré bleu de sa longue ceinture blanche, il ajouta : - Qui nous empêche donc de recommencer ? - Non, mon ami, répondit-elle. Je suis trop vieille... vous êtes trop jeune... oubliez-moi ! D'autres vous aimeront... vous les aimerez. - Pas comme vous ! s'écria-t-il. - Enfant que vous êtes ! Allons, soyons sage je le veux ! Elle lui représenta les impossibilités de leur amour, et qu'ils devaient se tenir, comme autrefois, dans les simples termes d'une amitié fraternelle. Etait-ce sérieusement qu'elle parlait ainsi ? Sans doute qu'Emma n'en savait rien elle-même, tout occupée par le charme de la séduction et la nécessité de s'en défendre ; et, contemplant le jeune homme d'un regard attendri, elle repoussait doucement les timides caresses que ses mains frémissantes essayaient. - Ah ! pardon, dit-il en se reculant. Et Emma fut prise d'un vague effroi, devant cette timidité, plus dangereuse pour elle que la hardiesse de Rodolphe quand il s'avançait les bras ouverts. Jamais aucun homme ne lui avait paru si beau. Une exquise candeur s'échappait de son maintien. Il baissait ses longs cils fins qui se recourbaient. Sa joue à l'épiderme suave rougissait ? pensait-elle : ? du désir de sa personne, et Emma sentait une invincible envie d'y porter ses lèvres. Alors, se penchant vers la pendule comme pour regarder l'heure : - Qu'il est tard, mon Dieu ! dit-elle ; que nous bavardons ! Il comprit l'allusion et chercha son chapeau. - J'en ai même oublié le spectacle ! Ce pauvre Bovary qui m'avait laissée tout exprès ! M Lormeaux, de la rue Grand-Pont, devait m'y conduire avec sa femme. Et l'occasion était perdue, car elle partait dès le lendemain. - Vrai ? fit Léon. - Oui. - Il faut pourtant que je vous voie encore, reprit-il ; j'avais à vous dire... - Quoi ? - Une chose... grave, sérieuse. Eh ! non, d'ailleurs, vous ne partirez pas, c'est impossible ! Si vous saviez... Ecoutez-moi... Vous ne m'avez donc pas compris ? vous n'avez pas deviné ?... - Cependant vous parlez bien, dit Emma. - Ah ! des plaisanteries ! Assez, assez ! Faites, par pitié, que je vous revoie... une fois... une seule. - Eh bien... Elle s'arrêta ; puis, comme se ravisant : - Oh ! pas ici ! - Où vous voudrez. - Voulez-vous... Elle parut réfléchir, et, d'un ton bref : - Demain, à onze heures, dans la cathédrale.
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Extraits
[...] Le terme d'« attachement (l.16) associé à indissoluble renvoie à la conception romantique d'un amour pur et total, au-delà des conventions sociales et d'une vie maritale plate et ennuyeuse qui entravent de manière très romantique cette forme d'amour idéal. Léon fait d'ailleurs un éloge hyperbolique d'Emma en parlant d'elle comme d'une nature idéale (l.14). La suggestion d'un bonheur absolu revient dans l'exclamation lyrique Quel rêve ! (l.18) prononcée par Léon. De même, Flaubert montre son héroïne comme sensible à la beauté de Léon. [...]
[...] La fenêtre guillotine le ciel noir et la gravure de La tour de Nesle, qui fait allusion à des amours adultères s'étant achevé de manière funeste, sont susceptibles d'être compris comme autant d'indices éventuels de la mort que fait ici planer le romancier sur les deux personnages avec une malicieuse ironie tragique. POUR LA CONCLUSION : Si le terme de parodie est peut-être un peu fort pour cette page, au moins peut-on ici parler nettement d'un auteur qui rend dérisoire une scène et un dialogue romantiques. Rapprochement possible avec la première rencontre entre Emma et Léon. [...]
[...] de Léon et Emma apparaissent comme purement phatiques et soulignent la vacuité du dialogue. Flaubert s'amuse à montrer un personnage masculin qui peine à renouer le dialogue interrompu (l.13) et c'est Emma qui intervient pour relancer le dialogue amoureux en une question qui invite Léon ni plus ni moins à exprimer son amour unique pour elle : D'où vient que personne, jusqu'à présent, ne m'a jamais exprimé des sentiments pareils ? (l.13). De même, quand Flaubert précise qu'Emma feint de regarder la pendule et de s'offusquer de l'heure tardive (l.36), son Que nous bavardons ! [...]
[...] La nuit s'épaississait sur les murs, où brillaient encore, à demi perdues dans l'ombre, les grosses couleurs de quatre estampes 1 représentant quatre scènes de La Tour de Nesle2, avec une lé-gende au bas, en espagnol et en français. Par la fenêtre à guillotine on voyait un coin de ciel noir entre des toits pointus. Elle se leva pour allumer deux bougies sur la commode, puis elle vint se rasseoir. Eh bien . fit Léon. Eh bien ? répondit-elle. Et il cherchait comment renouer le dialogue interrompu, quand elle lui dit : D'où vient que personne, jusqu'à présent, ne m'a jamais exprimé des sentiments pareils ? [...]
[...] Sans doute qu'Emma n'en savait rien elle-même, tout occupée par le charme de la séduction et la nécessité de s'en défendre ; et, contemplant le jeune homme d'un regard attendri, elle repoussait doucement les timides caresses que ses mains frémissantes essayaient. Ah ! pardon, dit-il en se reculant. Et Emma fut prise d'un vague effroi, devant cette timidité, plus dangereuse pour elle que la hardiesse de Rodolphe quand il s'avançait les bras ouverts. Jamais aucun homme ne lui avait paru si beau. Une exquise candeur s'échappait de son maintien. Il baissait ses longs cils fins qui se recourbaient. [...]