« Je sais bien que les Réalistes, dont Flaubert est la main droite, disent que le grand mérite de Flaubert est de faire vulgaire, puisque la vulgarité existe. Mais c'est là l'erreur du Réalisme que de prendre perpétuellement l'exactitude dans le rendu pour le but de l'art, qui ne doit en avoir qu'un : la Beauté, avec tous ses genres de beauté. Or la vulgarité n'est jamais belle, et la manière dont on la peint ne l'ennoblissant point, ne peut pas l'embellir. »
En vous appuyant sur les deux oeuvres au programme, commentez et discutez cette critique de Jules Barbey d'Aurevilly (...)
[...] Jamais rien de tendu, jamais rien qui ressemble à de la rhétorique Même si leur traitement stylistique diffère très légèrement, ces deux écrivains cherchent à rendre beau le vulgaire par l'intermédiaire de la forme. Cette beauté du style est secondée par la théorie de l'impersonnalité promue par Flaubert, et qui est l'un des principes du Réalisme. Pour lui, le narrateur ne doit théoriquement pas être présent dans le texte ; il ne doit pas porter de jugement. C'est pourquoi Flaubert et Maupassant laissent souvent percevoir la subjectivité des personnages par l'intermédiaire du jeu des voix. [...]
[...] Mais quel est l'intérêt de cette écriture du vulgaire ? Le but est-il seulement, comme le prétend Barbey d'Aurevilly, de faire preuve d'exactitude dans le rendu ? Certes, le recours à la vulgarité participe à un projet global qui est de rendre compte de la réalité dans tout ce qu'elle est, avec précision et exactitude. C'est cette finalité attribuée à la littérature que Barbey d'Aurevilly désapprouve chez les Réalistes. Dans la citation suivante, tirée de la suite de l'article consacrée à L'éducation sentimentale, il dénonce cet idéal avec encore plus de véhémence : Ce n'est donc pas une tête que Flaubert, c'est une main une main patiente et lente, mais acharnée qui fait des descriptions tranchées et des paysages de précision On ne peut nier que Flaubert et Maupassant cherchent à dépeindre la réalité avec exactitude et précision. [...]
[...] Cette question se pose d'autant plus que Flaubert, comme Maupassant, a toujours refusé cette assimilation. Dans sa lettre à George Sand du 6 février 1876, Flaubert écrit même : Et note que j'exècre ce que l'on est convenu d'appeler le réalisme, bien qu'on m'en fasse un des pontifes Maupassant refuse lui aussi d'être classé dans une école. Dans une de ses lettres adressées à Alexis en 1887, il écrit : Je ne crois pas plus au naturalisme et au réalisme qu'au romantisme. [...]
[...] Ce jeu des regards contribue à embellir le vulgaire, d'autant plus qu'en passant par le point de vue des personnages, le banal acquiert plus de valeur et se fait moins banal, puisqu'il devient signifiant de la psychologie d'Un personnage. Barbey d'Aurevilly a donc tort de considérer que Flaubert et Maupassant ne peuvent prétendre à une certaine beauté. Leur projet transcende celui de l'Ecole Réaliste, pour allier illusion réaliste et beauté. Faut-il alors considérer que le jugement esthétique porté par Barbey d'Aurevilly sur les œuvres de Maupassant et de Flaubert est totalement faux ? Non, parce qu'un jugement esthétique ne peut être en lui-même ni vrai ni faux. [...]
[...] Ce souci du détail et de l'exactitude est marqué par le long recensement, sous la forme d'une énumération, de tous les objets portés par les pêcheurs. Cette surenchère de détails répond à une recherche de précision dans le rendu. Néanmoins, si Flaubert et Maupassant accordent de l'importance au détail, on ne peut pas aller jusqu'à considérer que le but de leur art est la reproduction exacte du réel. Ils ne se conçoivent eux-mêmes que comme des illusionnistes Maupassant explicite cette idée dans la préface de Pierre et Jean : le romancier ne peut pas rendre la réalité avec exactitude et dans sa totalité, il opère donc nécessairement des choix. [...]
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