L'ordre de la description lui-même suit au début le regard d'un spectateur au milieu de la foule qui découvre le personnage pour la première fois et n'approfondit que peu à peu sa curiosité : de l'ensemble de sa personne, de son maintien, de ses vêtements (phrase 1) à ses pieds et ses hanches (phrase 2) puis au visage et aux mains (phrase 3), tour à tour développés dans les phrases suivantes dans l'ordre inverse : mains puis visage ...
[...] Nous étudierons tout d'abord les caractéristiques de la description, puis son réalisme avant de nous interroger sur sa portée symbolique. Ce texte est en effet essentiellement descriptif comme le montre tout d'abord son aspect purement visuel. Les éléments descriptifs s'adressent principalement au sens de la vue. Une petite vieille femme, de grosses galoches de bois, un grand tablier bleu, sa camisole rouge : les couleurs et les tailles tiennent donc la première place dans cette description qui s'adresse au regard. D'ailleurs, le verbe voir apparaît dès la première phrase : Alors on vit s'avancer. [...]
[...] Le dernier stade de dégradation du personnage est atteint lorsque le narrateur l'animalise. Avant d'utiliser à son sujet l'adjectif effarouchée, qui est habituellement réservé aux animaux, le narrateur l'a mise progressivement en rapport avec le monde animal : dans la fréquentation des animaux, elle avait pris leur mutisme et leur placidité. Un autre procédé a favorisé ce rapprochement, c'est la négation de ce qui est propre à un être humain : le regard, la parole, le sentiment et le mouvement. [...]
[...] Cette animalité est un symbole de servitude. A la fin du texte, Catherine Leroux devient même l'image allégorique de la servitude : sa vie devient une idée, ses cinquante années de labeur deviennent un demi siècle avec le caractère grandiose attaché à ce mot. Par la grandeur de cette image qui conclut le texte, on voit bien que Flaubert veut faire le portrait non seulement de cette servante, mais encore de la servitude. Il dénonce l'injustice et l'hypocrisie sociale. Le contraste est très fort entre les bourgeois épanouis et la pauvre femme dont on récompense le labeur en la gratifiant pour solde de tout compte de vingt-cinq francs, soit environ un demi franc par année de service. [...]
[...] Enfin, l'objet d'une description est souvent statique. Ici, c'est un être vivant et pourtant il est à l'image d'une statue. Il y a donc une adéquation parfaite entre la forme du texte et son sujet. En effet, outre les verbes être et avoir bien à leur place dans une description, on peut noter d'autres verbes qui soulignent l'immobilité du personnage : restaient, demeurait, se tenait. On remarque la même insistance dans l'expression tout immobile. Si le lecteur parvient à s'imaginer ce personnage figé comme une statue par la description, c'est parce que la dimension réaliste est particulièrement nette. [...]
[...] C'est pourquoi sa pauvreté redevient synonyme de grandeur sublime. Ce texte de Flaubert est donc certainement un morceau de bravoure tant il est travaillé et sa fausse simplicité vient servir le sens symbolique du portrait. D'ailleurs, tout dans le texte concourt à sa chute, qui explicite la valeur allégorique de la servante transfigurée en statue sainte, malgré ou grâce à l'oppression qu'elle a subie. Le réalisme n'abandonne donc pas la littérature pour la réalité, mais énonce de nouvelles règles du jeu. [...]
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