Gustave Flaubert, "Madame Bovary", Partie III, Chapitre 8 : la mort d'Emma
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Les derniers instants de l'héroïne du roman. - L'imminence de la mort : cf. l'expression proleptique « à la croire déjà mort » et les comparaisons : « comme deux globes de lampes qui s'éteignent », « comme si l'âme eût fait des bonds pour s'en détacher », « comme au contre-coup d'une ruine qui tombe », « comme un glas de cloche », « comme un cadavre que l'on galvanise ». Les comparants ont tous une fonction anticipatrice, proleptique : ils annoncent la mort d'Emma. - Le spectacle solennel de la mort d'Emma : la présence de plusieurs témoins, dont plusieurs notables d'Yonville, dramatise cette mort (...)
Sommaire
I) Le récit dramatique de la mort d'Emma : une scène en apparence tragique et pathétique
A. La dramatisation du récit : un moment qui semble solennel B. Une scène à l'apparence tragique C. Des éléments pathétiques ?
II) Le récit réaliste et ridicule de la mort d'Emma
A. Le réalisme du récit de l'agonie sordide d'Emma B. Une assistance ridicule C. L'ironie de Flaubert à l'endroit de son héroïne qui se meurt
III) La mise à mort d'Emma par l'auteur
A. La véritable torture d'Emma par Flaubert B. Le moment de vérité pour Emma : une vie cernée par la médiocrité et qui se résume à rien C. L'impuissance de la médecine et de la religion : la victoire du néant
Conclusion
Texte étudié
Cependant elle n'était plus aussi pâle, et son visage avait une expression de sérénité, comme si le sacrement l'eût guérie. Le prêtre ne manqua point d'en faire l'observation ; il expliqua même à Bovary que le Seigneur, quelquefois, prolongeait l'existence des personnes lorsqu'il le jugeait convenable pour leur salut ; et Charles se rappela un jour où, ainsi près de mourir, elle avait reçu la communion. - Il ne fallait peut-être pas se désespérer, pensa-t-il. En effet, elle regarda tout autour d'elle, lentement, comme quelqu'un qui se réveille d'un songe ; puis, d'une voix distincte, elle demanda son miroir, et elle resta penchée dessus quelque temps, jusqu'au moment où de grosses larmes lui découlèrent des yeux. Alors elle se renversa la tête en poussant un soupir et retomba sur l'oreiller. Sa poitrine aussitôt se mit à haleter rapidement. La langue tout entière lui sortit hors de la bouche ; ses yeux, en roulant, pâlissaient comme deux globes de lampe qui s'éteignent, à la croire déjà morte, sans l'effrayante accélération de ses côtes, secouées par un souffle furieux, comme si l'âme eût fait des bonds pour se détacher. Félicité s'agenouilla devant le crucifix, et le pharmacien lui-même fléchit un peu les jarrets, tandis que M. Canivet regardait vaguement sur la place. Bournisien s'était remis en prière, la figure inclinée contre le bord de la couche, avec sa longue soutane noire qui traînait derrière lui dans l'appartement. Charles était de l'autre côté, à genoux, les bras étendus vers Emma. Il avait pris ses mains et il les serrait, tressaillant à chaque battement de son coeur, comme au contrecoup d'une ruine qui tombe. À mesure que le râle devenait plus fort, l'ecclésiastique précipitait ses oraisons ; elles se mêlaient aux sanglots étouffés de Bovary, et quelquefois tout semblait disparaître dans le sourd murmure des syllabes latines, qui tintaient comme un glas de cloche. Tout à coup, on entendit sur le trottoir un bruit de gros sabots, avec le frôlement d'un bâton ; et une voix s'éleva, une voix rauque, qui chantait :
Souvent la chaleur d'un beau jour Fait rêver fillette à l'amour.
Emma se releva comme un cadavre que l'on galvanise, les cheveux dénoués, la prunelle fixe, béante.
Pour amasser diligemment Les épis que la faux moissonne, Ma Nanette va s'inclinant Vers le sillon qui nous les donne.
- L'Aveugle s'écria-t-elle. Et Emma se mit à rire, d'un rire atroce, frénétique, désespéré, croyant voir la face hideuse du misérable, qui se dressait dans les ténèbres éternelles comme un épouvantement.
Il souffla bien fort ce jour-là, Et le jupon court s'envola !
Une convulsion la rabattit sur le matelas. Tous s'approchèrent. Elle n'existait plus.
I) Le récit dramatique de la mort d'Emma : une scène en apparence tragique et pathétique
A. La dramatisation du récit : un moment qui semble solennel B. Une scène à l'apparence tragique C. Des éléments pathétiques ?
II) Le récit réaliste et ridicule de la mort d'Emma
A. Le réalisme du récit de l'agonie sordide d'Emma B. Une assistance ridicule C. L'ironie de Flaubert à l'endroit de son héroïne qui se meurt
III) La mise à mort d'Emma par l'auteur
A. La véritable torture d'Emma par Flaubert B. Le moment de vérité pour Emma : une vie cernée par la médiocrité et qui se résume à rien C. L'impuissance de la médecine et de la religion : la victoire du néant
Conclusion
Texte étudié
Cependant elle n'était plus aussi pâle, et son visage avait une expression de sérénité, comme si le sacrement l'eût guérie. Le prêtre ne manqua point d'en faire l'observation ; il expliqua même à Bovary que le Seigneur, quelquefois, prolongeait l'existence des personnes lorsqu'il le jugeait convenable pour leur salut ; et Charles se rappela un jour où, ainsi près de mourir, elle avait reçu la communion. - Il ne fallait peut-être pas se désespérer, pensa-t-il. En effet, elle regarda tout autour d'elle, lentement, comme quelqu'un qui se réveille d'un songe ; puis, d'une voix distincte, elle demanda son miroir, et elle resta penchée dessus quelque temps, jusqu'au moment où de grosses larmes lui découlèrent des yeux. Alors elle se renversa la tête en poussant un soupir et retomba sur l'oreiller. Sa poitrine aussitôt se mit à haleter rapidement. La langue tout entière lui sortit hors de la bouche ; ses yeux, en roulant, pâlissaient comme deux globes de lampe qui s'éteignent, à la croire déjà morte, sans l'effrayante accélération de ses côtes, secouées par un souffle furieux, comme si l'âme eût fait des bonds pour se détacher. Félicité s'agenouilla devant le crucifix, et le pharmacien lui-même fléchit un peu les jarrets, tandis que M. Canivet regardait vaguement sur la place. Bournisien s'était remis en prière, la figure inclinée contre le bord de la couche, avec sa longue soutane noire qui traînait derrière lui dans l'appartement. Charles était de l'autre côté, à genoux, les bras étendus vers Emma. Il avait pris ses mains et il les serrait, tressaillant à chaque battement de son coeur, comme au contrecoup d'une ruine qui tombe. À mesure que le râle devenait plus fort, l'ecclésiastique précipitait ses oraisons ; elles se mêlaient aux sanglots étouffés de Bovary, et quelquefois tout semblait disparaître dans le sourd murmure des syllabes latines, qui tintaient comme un glas de cloche. Tout à coup, on entendit sur le trottoir un bruit de gros sabots, avec le frôlement d'un bâton ; et une voix s'éleva, une voix rauque, qui chantait :
Souvent la chaleur d'un beau jour Fait rêver fillette à l'amour.
Emma se releva comme un cadavre que l'on galvanise, les cheveux dénoués, la prunelle fixe, béante.
Pour amasser diligemment Les épis que la faux moissonne, Ma Nanette va s'inclinant Vers le sillon qui nous les donne.
- L'Aveugle s'écria-t-elle. Et Emma se mit à rire, d'un rire atroce, frénétique, désespéré, croyant voir la face hideuse du misérable, qui se dressait dans les ténèbres éternelles comme un épouvantement.
Il souffla bien fort ce jour-là, Et le jupon court s'envola !
Une convulsion la rabattit sur le matelas. Tous s'approchèrent. Elle n'existait plus.
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Extraits
[...] Ensuite le divin vieillard trempe un peu de coton dans une huile consacrée ; il en frotte les tempes d'Atala, il regarde un moment la fille mourante, et tout à coup ces fortes paroles lui échappent : Partez, âme chrétienne, allez rejoindre votre Créateur ! Relevant alors ma tête abattue, je m'écriai en regardant le vase où était l'huile sainte : Mon père, ce remède rendra-t-il la vie à Atala ? Oui, mon fils, dit le vieillard en tombant dans mes bras, la vie éternelle ! Atala venait d'expirer Lopez est devenu le père adoptif de Chactas. [...]
[...] Cette mort, traitée avec un grand réalisme et de manière très prosaïque, apparaît donc comme anti-romantique, aux antipodes de la mort d'une Atala ou d'une Manon Lescaut. B. Une assistance ridicule En quelques lignes, Flaubert réussit une savoureuse galerie de portraits ou de silhouettes, campant chacun des personnages de la scène en une attitude où il s'exprime et se révèle tout entier : Les clichés religieux de Bournissien (dont le nom peut faire songer à bon à rien ou à bourrin : le texte s'ouvre sur un moment de pause dans l'agonie d'Emma, que le prêtre suppose liée au sacrement d'extrêmeonction. [...]
[...] Flaubert souligne qu'il n'y a rien après la mort : Emma n'entrevoit que les ténèbres éternelles (l.31) et une fois morte, n'exist[e] plus. La phrase souligne l'annulation complète du personnage, la survenue du néant, l'absence totale de toute immortalité de l'âme, autre illusion romantique pour le romancier. CONCLUSION 5 Le récit de la mort d'Emma Bovary s'oppose nettement avec celui, romantique, de la mort d'Atala, dans Atala (1801) de Chateaubriand, ou avec celui, pré-romantique de la mort de Manon Lescaut, dans l'Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut (1731) de l'abbé Prévost. [...]
[...] La mort d'Atala dans Atala (1801), François-René de CHATEAUBRIAND En Louisiane, un vieil Indien aveugle, Chactas, raconte sa vie à René, un jeune Français qui souhaite vivre au milieu des Indiens. Recueilli et élevé par un Espagnol, Lopez, le jeune Chactas est fait prisonnier par les ennemis de sa tribu ; une Indienne de religion chrétienne, Atala, le sauve et s'enfuit avec lui. Un terrible orage les oblige à s'abriter sous un arbre ; là, Atala révèle à son compagnon qu'elle est en réalité la fille de Lopez. Le couple finit par trouver refuge dans la mission du père Aubry. [...]
[...] La grotte parut soudain illuminée ; on entendit dans les airs les paroles des anges et les frémissements des harpes célestes ; et lorsque le Solitaire tira le vase sacré de son tabernacle, je crus voir Dieu lui-même sortir du flanc de la montagne. Le prêtre ouvrit le calice ; il prit entre ses deux doigts une hostie blanche comme la neige, et s'approcha d'Atala en prononçant des mots mystérieux. Cette sainte avait les yeux levés au ciel, en extase. [...]