Fiche de lecture de l'ouvrage de Uri Eisenzweig: Fictions de l'anarchisme
L?essai porte sur l?hypothèse d?une convergence entre deux phénomènes notables de la fin du XIXème siècle : d?un côté, l?intérêt pour une violence dont les responsables et la signification échappent aux catégories classiques de l?entendement ; de l'autre, l?idée naissante de la non-fiabilité du langage. En effet, dans les années 1890, le personnage «médiatique» de l?anarchiste-poseur-de-bombes naquît alors que le pouvoir du langage était questionné. Les attentats cherchaient-ils à faire, face à un «dire» réduit par des mots tout juste dénonciateurs ?
[...] Cette phobie semble disproportionnée par rapport aux faits, et tournait autour de deux symboles liés par l‘opinion publique aux anarchistes : la bombe et le 1er mai. Ainsi, la peur des attentats anarchistes ne semble pas tant être la conséquence d‘actes aux répercussions, somme toute, réduites (pas de morts le 28 février) qu‘une manifestation de la logique socioculturelle de l‘époque. En outre, l‘idée non fondée apparue dès le 1er mars selon laquelle l‘attentat de Ravachol serait un prélude à toute une série, peut être interprétée comme crainte d‘une épidémie, d‘une continuité plus que des bombes futures proprement dit. [...]
[...] Fiction Dès lors, l'anarchiste-poseur-de-bombes devient plus que tout une figure pour expliquer ce qu'on ne peut pas expliquer. Mais alors, l'acte ne plaide plus de cause ; il n'est plus à proprement parler anarchiste On peut donc parler de fiction de l'anarchie Son terrorisme est pure fiction dans la mesure où les médias intègrent dans le cadre des récits explicatifs ce qui se veut non-sens. L'archétype même de l'anarchisme a quelque chose d'irréel, de négation du réel, dans la mesure où l'on conte la réalité des dommages physiques, alors que seule la suppression en elle- même importe, contrairement aux guerres, guérillas . [...]
[...] Mais gardons à l‘esprit l‘échec du Procès des Trente, et l‘hilarité du public quant aux réponses des accusés montrant l‘ineptie des questions posées : comment concilier, comme le voulaient les autorités, entente secrète et audience publique ? Cependant, le procès eut lieu. Cela annonçait donc une nouvelle forme de culpabilité : pouvaient être coupables ceux qui commettaient des actes en communiquant des idées. En déplaçant la responsabilité sur un groupe, la politique délimiter conceptuellement une nouvelle forme d‘action politique qu‘elle ne comprenait pas. On passe donc, par les lois scélérates, des anarchistes aux intellectuels. [...]
[...] Les lois visaient un groupe trop vaste, et mettaient donc en question les libertés fondamentales. Dès lors, les intellectuels se concentrent plus sur la scélératesse des lois que sur leur visée antiterroriste. Ils les voient comme s‘attaquant au Vrai et au Juste du mot. Ainsi, la figure de l‘anarchiste disparaît dans le débat législatif. Le remplaceront côté l‘intellectuel, figure médiatique par excellence, et de l‘autre, le terroriste, masqué ; mais demeure l‘indistinction entre les mots et les actes, entre ce qui, dans la sphère publique, est légitime ou ne l‘est pas. [...]
[...] Toutefois, cette appartenance est négative : les artisans se rallient à l‘anarchisme parce qu‘ils ne veulent pas perdre leur place dans la société. En outre, l‘anarchie fut liée pendant cette période à des idéologies ultra réactionnaires : boulangisme ou même monarchisme. Des liens étroits unissent l‘aristocratie à l‘anarchie (Mirbeau, par exemple, travailla pour des journaux bonapartistes et légitimistes). Cette convergence fut perçue comme politique (alliance des marginaux de la IIIème République), mais elle est aussi idéologique (tous deux rejettent la représentation démocratique du peuple). [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture