Étude linéaire du sonnet "Voyelles" de Rimbaud. Analyse du travail de la langue effectué par Rimbaud, dans une forme d'apparence générique, pour se réapproprier les mots et les faire sonner différemment. Tout le sonnet ne consiste qu'en une phrase et suit une progression annoncée par le titre, celle des "Voyelles", égrainées tour à tour.
[...] Tous les sens (les cinq sens comme, finalement, les sens sémantiques) sont mis à contributions dans les hallucinations que le poète tente de mettre en mots alors qu'il se flattait lui-même d'inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l'autre, à tous les sens. (Alchimie du verbe). Les mots comme les lettres sont des principes avec lesquels on peut jouer. Peu importe finalement que telle couleur soit associée à telle voyelle. Rimbaud met en oeuvre une démarche qui se retrouvera un siècle plus tard chez Ponge. [...]
[...] Il paraîtrait surprenant que les yeux (rapportés à la P3) soient ceux du poète puisque la première personne a précédemment été utilisé. Peut-être doit on y voir quelque chose d'un registre plus élevé, une appartenance au divin qui s'accorderait avec ce paysage d'apocalypse. Quoiqu'il en soit, la polyphonie rendue par ce sujet indéfini rentre parfaitement dans le projet de Rimbaud, la multiplication des sens, la recréation d'un monde nouveau. Si le sonnet Voyelles semble prendre la forme d'un sonnet marotique, il s'en détache par la configuration de son second quatrain : BAAB au lieu de ABBA. [...]
[...] Rimbaud aussi bien que Verlaine écrivent le E comme un epsilon grec. On pourrait donc s'attendre, à ce stade du sonnet, à une étude classique des voyelles puisque basée en quelque sorte sous le signe d'une autorité remontant à l'Antiquité. Mais l'association de voyelles et de couleurs apparaît d'emblée étrange, la couleur des voyelles pouvant paraître sans logique. On remarque tout de même que les contraires noir et blanc ouvrent le spectre, pour ensuite laisser place au rouge au vert et au bleu Le spectre ne se trouvera achevé qu'au dernier vers par le violet Le poète annonce donc son programme au premier vers et rappelle le titre du poème voyelles mis en évidence en fin de vers. [...]
[...] Ces évocations et le terme d' alchimie rappellent la sorcellerie évocatoire de Baudelaire, cette recherche de la vérité dans le déchiffrement du mystère (ici peut être le mystère de la vie, du monde et des forces qui le régissent). Mais l'alchimie est aussi l'Alchimie du verbe, texte en prose qu'écrira Rimbaud et dans lequel le poète explicitera son projet avec Voyelles : J'écrivais des silences, des nuits, je notais l'inexprimable. Je fixais des vertiges. ; entreprise qui rappelle la poésie baudelairienne. Enfin, le dernier tercet est consacré à la lettre O Le vers 12 présente, dans le respect du schéma déjà employé, la voyelle en tête de vers. Mais ce O peut aussi être perçu comme une apostrophe. [...]
[...] L'association se fait également par les sons. Le vers partagé entre le A et le E comporte une allitération en r qui permet de l'unifier au niveau sonore. Le contraste entre noir et blanc est toutefois mis en relief et se retrouve dans les images suggérées. En effet, les candeurs des vapeurs et des tentes créent une impression de légèreté, de pureté. On s'imagine les volutes de vapeur, la légèreté aérienne du tissu des tentes, et la délicatesse des frissons d'ombelles Les lances des glaciers fiers renvoient à une idée de pureté qui se retrouve dans la lumière des rois blancs On peut remarquer que, si le noir succédait immédiatement à la lettre A ici la mention de la couleur blanche clôture presque le tableau associé à la voyelle E Et ce, comme si l'opposition des deux couleurs pouvait se lire autrement, dans la symétrie du vers au delà du sémantisme, lorsque la langue est travaillée. [...]
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