Montaigne, qui invente à la fois un projet et un genre nouveaux, explicite ses intentions dans son texte liminaire, "Au lecteur". Sur le ton de l'avertissement, il justifie le choix de la forme de l'essai, qui se situe aux antipodes du traité : ses essais relèvent d'une écriture personnelle, intime, légère, libre. Il propose donc un pacte de lecture qui n'a pas pour but le martèlement de la morale (...)
[...] C'est pourquoi Montaigne est à la frontière entre littérature et philosophie. C'est l'humour qui fait des Essais une œuvre plaisante, notamment par les anecdotes drôles, p92, anecdotes de condamnés à morts), parfois triviales et d'un esprit gaulois p148 et I p 158), les jeux de mots il n'est rien de si dissociable et sociable que l'homme I 39, p 290), autant de perles qui allègent le discours, le rendent moins monotone ou grave. Montaigne exploite donc un style comique et privé [ ] trop serré, désordonné, coupé, particulier 304) dans l'essai philosophique, général. [...]
[...] Montaigne fait partager la philosophie de son expérience individuelle : c'est le témoignage du sage qui a appris avec l'âge et l'expérience. Il y a un va et vient entre réflexion universelle et discours personnel. L'expérience individuelle permet de tirer un enseignement, et l'idée générale débouche sur le souvenir et l'anecdote. Par conséquent, même si certaines parties sont trop individuelles et paraissent être écrites pour des amis, la peinture du moi a une portée plus générale dans sa valeur de témoignage, terme plus exact que l'idée de modèle et d'«adhésion imitative Toutefois, comme nous l'avons déjà évoqué, le lecteur de Montaigne est un lecteur virtuel. [...]
[...] ainsi que il faut employer le mot qu'Aristote avait très familier : O mes amis, il n'y a nul ami p et 238). De plus, remarquons que le dernier essai du livre De l'âge, se termine par le conseil moral : on n'en devrait [la vie] pas faire si grande part à la naissance, à l'oisiveté et à l'apprentissage Par conséquent, même s'il y a un dédain de l'effet pédagogique, il n'empêche pas que cet effet existe. Toutefois, il convient immédiatement de préciser que s'il existe un discours parfois moral dans l'œuvre, ce n'est pourtant pas un discours moralisateur. [...]
[...] Montaigne est à la fois auteur et lecteur de son oeuvre. Montaigne incarne son propre lecteur idéal, et rend effectif la communication. En s'annotant, Montaigne se répond à lui-même et fait émerger un dialogue avec ses anciens moi. Il contribue ainsi aux questions et aux réponses dans des dialogues fictifs, qui mettent en présence la voix de Montaigne et la voix du lecteur : Bien, me dira-t-on, votre règle serve à la mort, mais que direz- vous de l'indigence? Que direz-vous encore de la douleur, que Aristippe, Hieronymus et la plupart des sages ont estimé le dernier mal [ ] 14). [...]
[...] Montaigne construit les essais comme un dialogue intérieur, qui a pour but la découverte de soi. L'« expérience intérieure décrit la discussion interne de Montaigne, qui se situe non seulement dans la communication mais aussi dans l'argumentation, comme nous l'avons vu. Montaigne est lui même son propre interlocuteur. Il a en lui l'interlocuteur à qui il destine ses essais. Cette expérience se caractérise par le dialogue intérieur. Cela se justifie notamment avec les allongeails de Montaigne. La démarche de commenter son propre livre serait l'attitude de n'importe quel lecteur devant les Essais. [...]
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