« En 1944, en pleine deuxième guerre mondiale, le ministère de l'Information demande à Laurence Olivier de réaliser un film patriotique pour soutenir le moral des troupes anglaises. Si le choix d'une adaptation d'Henry V de Shakespeare se comprend de part le fort lien affectif de l'acteur-réalisateur avec le barde et de part le contenu effectivement patriotique de la pièce, son traitement cinématographique ne laisse pas d'étonner. Il ne se constitue pas comme une pure adaptation du texte de Shakespeare au contraire de l'adaptation que fera Kenneth Branagh de la même pièce en 1988 ; il raconte l'histoire d'une troupe de théâtre ? évidemment the Lord Chamberlain's Men ? jouant dans un théâtre ? évidemment The Globe ? la pièce de Shakespeare un matin de mai 1600. En fait, le film est constitué de nombreux cadres, au niveau narratif et au niveau macro-structurel, qui forment comme le quadrillage d'une page d'écolier sur laquelle s'écrit l'hypo-texte d'Olivier, une réflexion sur ce qu'est l'adaptation d'un texte littéraire, plus particulièrement d'un texte théâtral, et encore plus précisément, du théâtre de Shakespeare. Adaptation qui doit tuer le texte afin de le transformer en images. »
[...] Là encore, elles n'interviennent que dans les premières trente minutes du film. Dans la scène d'ouverture de la pièce jouée sur la scène du théâtre du Globe, on voit l'archevêque de Canterbury et Ely avoir une discussion politique où ils se penchent physiquement sur des documents que nous, spectateurs diégétiques et autre, ne pouvons pas lire. Dans la scène suivante, on retrouve les deux même exposant leur théorie à Henry. Ils ont dans les bras des masses de documents sensés prouver le bien fondé de leurs dires reconnaissant ainsi à Henry la possession du trône de France. [...]
[...] A la 14ème minute du film, ce panneau reviendra à l'image mais relégué dans les coulisses sur un tas de paille. A la 25ème minute, le page revient avec un panneau indiquant le nom d'une taverne de Londres «the Board's Head - la tête de sanglier qu'il retourne pour l'accrocher comme une ancienne enseigne. De l'autre côté est peinte une tête de sanglier : le texte est devenu image. A la 30ème minute, le décor est représenté par une toile peinte tirée en arrière scène par le personnage du Chœur, toile qui s'anime et prend une illusoire profondeur. [...]
[...] Cependant, le langage utilisé ainsi que les polices en font une occurrence textuelle encrée dans la diégèse. Elle a donc une valeur iconique autant que purement textuelle : les polices et la couleur ainsi que le fond informent autant que le texte. Elle fait partie du générique - extra- diégétique, hors-texte sans être hors-film - mais elle fait aussi partie de la diégèse. Elle a donc un statut particulièrement ambigu qui peut s'expliquer par les réflexions de Roger Odin[4] qui a montré que générique du film, réputé extra-diégétique et purement informatif avait aussi et surtout pour fonction de faciliter par son défilement transitionnel l'entrée du spectateur dans la diégèse et sa rupture avec la réalité Ici la méthode utilisée est un peu différente mais le résultat est le même. [...]
[...] Il est pourtant intéressant de remarquer que cet ensemble harmonisé que représente le générique de ce film est interrompu par la dédicace qui se pose en décalage de par son fond, ses caractères et leur couleur et par le silence qui rompt avec le son de cloches entendu juste avant et la musique entendue juste après : la solennité de l'adresse est accentuée. Une fois dans la diégèse, les occurrences textuelles vont toutes servir le même but paradoxal : faire oublier le texte. [...]
[...] Le choix des couleurs dans le générique n'est évidemment pas innocent. Le bleu et le rouge sont les couleurs d'Henry V. Son armure et ses bannières seront reconnaissables tout le long du film grâce au bleu et rouge. photo extraite de la jaquette de la version vidéo du film La diégèse marque déjà de son influence les premières mentions textuelles, même celles comme ici qualifiables d'extra-diégétiques. Cela correspond à la définition de la forme générique donnée par André Gardies est hors-texte sans être hors-film, il raconte une autre histoire, celle de la production du film, obéissant en cela à tous les arts du spectacle Cette définition est ici particulièrement pertinente si on considère le jeu de cadres et de niveaux narratifs opéré par Laurence Olivier[2] : Frame and stories in Olivier's H (en blanc : histoires racontées par le Globe et le film : Henry V de Shakespeare)[3] Le générique n'est pas hors-film, il appartient au cadre Olivier's film. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture