Après la longue tirade de Lucky, monologue construit par bribes elliptiques ou redondantes, le chapeau de celui-ci lui est ôté. Lucky alors se tait. La parole prise tout entière par un seul personnage, le temps de quelques pages, donc d'un moment assez long, est subitement coupée par la privation du couvre-chef comme si celui-ci était le substitut concret de la parole, donc de la pensée de Lucky. Les trois autres personnages demeurent silencieux "Grand silence", ce que précise la didascalie. Le terme de vainqueurs qui clôt la didascalie laisse à penser que les trois auditeurs associent la réduction au silence de Lucky comme la victoire d'un combat imprécis. Est-ce la victoire contre la parole désorganisée, contre la logorrhée de Lucky face à laquelle ils sont impuissants ? (...)
[...] La réplique de Vladimir dénote une certaine inquiétude quant au déplacement à venir de Lucky. Il envisage l'avenir immédiat à l'aide d'un futur proche, rendu par le présent, inquiétude résolue par Pozzo, énoncée au futur et mise en relief par l'utilisation d'un présentatif C'est moi qui . Pozzo se replace ainsi au premier plan, et reprend son rôle de conducteur, de guide, des actions et de Lucky. La décision émise de manière autoritaire s'accompagne de gestes brutaux (Il donne des coups de pieds à Lucky), d'un ordre donné à l'aide d'un seul mot Debout ! [...]
[...] Lucky est oublié, portant valise et panier La recherche de la montre se poursuit, apportant une distraction passagère à nos deux personnages à laquelle V., toujours conciliant, se prête volontiers Elle est peut-être dans votre gousset. La gestuelle comique qui n'est pas absente de ce passage fait à nouveau irruption dans une tentative désespérée. Comment entendre sur son ventre le tic-tac de sa montre à l'aide de ses propres oreilles. Est-ce là une allusion au contorsionniste, personnage constant de tout cirque en représentation ? E. [...]
[...] Mais il ne s'agit nullement d'une communion des êtres. Vladimir répète Silence par deux fois, de manière injonctive et assène une vérité anatomique que personne n'attend. L'exclamation déceptive et brutale de Pozzo est atténuée par l'incertitude, l'hypothèse énoncée par Estragon. Une certaine touche de comique dérisoire émerge par la question, quelque peu saugrenue de Pozzo, qui ramène dans l'échange verbal des propos d'hygiène physique. Du cœur, organe noble de l'anatomie humaine, le discours se dégrade pour évoquer la mauvaise haleine de l'un, et la puanteur des pieds de l'autre. [...]
[...] Lucky tombe arrêtant ainsi l'action en cours, du fait du pliant »oublié. De simple spectateur qui salue, Vladimir participe à l'action, un instant permettant ainsi à Pozzo de re-disparaître dans un nouvel Adieu repris en chœur par notre duo V.E. La sortie de scène de Pozzo s'accompagne à nouveau de cris, d'insultes envers Lucky, qui évoquent davantage l'attitude d'un cocher irascible que celle d'un homme qui quitte deux amis. Lorsque le Silence retombe, V. et E. se retrouvent seuls, sans agitation. [...]
[...] Pendant cette action, surgit l'épisode de la montre de Pozzo. Ce mouvement se clôt par l'exclamation Ca, par exemple ! (bas de page Le second mouvement montre le départ du couple Pozzo-Lucky différé par l'incident de la montre égarée. Le départ de Pozzo redonne une existence scénique à Lucky, un instant délaissé au profit de la recherche de la montre. Problématique : Il s'agit de montrer comment ce passage participe de l'animalisation du personnage qu'est Lucky, construite par une série de gestes empruntés au spectacle du cirque. [...]
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