En effet, la trace de l'écrivain dans son oeuvre est ce qui le distingue du scientifique rédigeant un manuel explicatif. Ainsi, même Flaubert qui poussait le désir d'objectivité jusqu'à s'inspirer du code judiciaire, affirmait « Mme Bovary, c'est moi ». De même Balzac, malgré ses descriptions minutieuses et son approche presque scientifique de l'écriture (...)
[...] Il y affirme que même si en un sens, tout écrivain est subjectif ( il y a des époques où même de très grands esprits ne jugent pas les particularités de leur personne assez intéressantes pour retenir ( ) l'attention du public. Il y en a d'autres où le moindre gribouilleur estime que ses maux d'estomacs doivent être ( ) transmis à la postérité En effet, si la subjectivité est omniprésente dans l'activité littéraire, certaines époques et certains auteurs sont plus narcissiques que d'autres. Le moi peut-il être distingué de l'acte de création ? Le rôle de l'écrivain est-il de transmettre sa propre vision du monde ou d'en faire un portrait objectif ? [...]
[...] Enfin, la tendance qu'on certains écrivains à se prendre comme sujet crée parfois une distance avec le lecteur. Les romantiques en ont fait l'expérience dans leur rôle de poètes élus et maudits, se positionnant systématiquement au dessus des autres, et engendrant ainsi leur propre exclusion. Plus récemment, Julien Green dans son journal, se pose sur un piédestal, ne permettant pas au lecteur de partager et de comprendre son vécu. Les auteurs trop préoccupés par leur personne, même ceux dotés d'une plume remarquable, éloignent donc le lecteur potentiel, en lui refusant toute forme d'identification. [...]
[...] L'utilisation du moi à outrance par certains écrivains tend donc à les rendre inaccessibles. Peut-être une subjectivité maîtrisée par son auteur permettrait d'éviter bien des écueils. Avant tout, parler de soi peut être légitime et même nécessaire lorsque l'auteur a participé à un évènement historique. L'écrivain a alors un rôle de témoin, et se doit de partager son expérience. Mais ici aussi, la subjectivité de l'œuvre doit être relative : ainsi Primo Lévi, dans Si c'est un homme, décrit les horreurs de la vie des camps de concentration avec une précision presque scientifique. [...]
[...] Enfin, partir de soi ne peut aussi être qu'un moyen d'accéder au collectif. La démarche de John Irving pour son dernier roman, Je te retrouverai, est intéressante à cet égard. En effet, s'inspirant de son passé, il a d'abord rédigé cette histoire à la première personne ; puis il l'a entièrement réécrite à la troisième personne. Prendre le recul nécessaire sur son propre vécu permet alors à l'auteur de rejoindre une vérité plus large, plus universelle. Jules Romains avait raison d'affirmer que la subjectivité est indissociable de la littérature, mais d'en critiquer les excès. [...]
[...] L'acte de création est, par nature, un acte subjectif. La notion de subjectivité est donc inséparable de celle d'art. Cependant, l'incapacité qu'ont certains écrivains à se détacher du moi peut aussi discréditer leur valeur artistique. La tendance actuelle est à la confusion entre littérature et voyeurisme. Que l'on pense au succès du livre L'aube, le soir ou la nuit de Yasmina Reza, qui, à défaut d'être de qualité d'un point de vue stylistique, a satisfait la curiosité des gens sur la personnalité du président français. [...]
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