Dans son drame romantique Kean ou Désordre et génie, écrit en 1836, Dumas s'inspire de la vie tumultueuse et extravagante du tragédien anglais Edmund Kean, interprète de Shakespeare. Dans cette scène, une jeune femme, Anna Damby, décrit à Kean comment sa découverte du théâtre et le jeu prodigieux d'un acteur l'a guérie de sa neurasthénie et l'a rendue au monde des émotions (...)
[...] le 35 front brûlant et basané de More . j'y trouvai la tête sombre et pâle d'Hamlet . Oh ! cette fois, toutes les sensations amassées depuis trois jours jaillirent à la fois de mon cœur trop plein pour les renfermer . mes mains battirent, ma bouche applaudit . mes larmes coulèrent. KEAN. Et qui jouait Hamlet, Anna ? 40 ANNA. [...]
[...] Je rentrai à l'hôtel de mon tuteur, toujours froide et silencieuse pour tous, mais déjà ranimée et vivante au cœur. Le surlendemain on me conduisit au More de Venise . j'y vins avec tous mes souvenirs de Roméo . Oh ! mais, cette fois, ce n'était plus la même voix, ce n'était plus le même amour, ce n'était plus le même homme ; mais ce fut toujours le même ravissement . le même bonheur . la même extase . Cependant, je pouvais parler déjà, je pouvais dire : C'est beau ! . [...]
[...] En même temps, et comme tout héros romantique, elle porte en elle le goût des contrastes et des contradictions. Ainsi, d'une apathie et d'une indifférence totale coutumières à la neurasthénie, en l'espace de quatre répliques, elle exprime une vitalité, un enthousiasme exubérants que marquent de nombreuses exclamations. Elle est émue par la figure mélancolique et douce de Roméo (ligne 34) ou par la tête sombre et pâle d'Hamlet (oxymore qui fait du personnage un paradoxe vivant). Ces traits se concrétisent dans ses goûts littéraires dont on apprend dans sa dernière réplique, que parmi ses héros, on trouve : Roméo qui meurt d'amour, Othello qui tue par jalousie celle qu'il aime et Hamlet qui sacrifie son amour pour assouvir sa vengeance. [...]
[...] On peut alors se demander si s'apercevant que l'acteur a su émouvoir la spectatrice, il ne se demande pas si l'homme qu'il est ne pourra pas séduire la jeune femme riche et belle. II- Une héroïne de drame romantique Le tempérament d'Anna, tel qu'il apparaît dans son récit, s'accorde bien aux passions tumultueuses des héros shakespeariens qu'elle vient de découvrir. Elle présente toutes les caractéristiques révélatrices de l'héroïne de drame romantique. Une sensibilité exacerbée Le récit d'Anna est entièrement centré sur elle-même, rappelant la primauté du moi chez les Romantiques. [...]
[...] Kean qui sait pertinemment que celui qui jouait Roméo, ( ) Othello, ( ) Hamlet c'est lui-même, rend implicitement responsable de ce miracle, l'acteur. En effet, en l'idéalisant et en le percevant comme un être d'exception, d'une autre essence que l'humanité ordinaire, Anna lui renvoie inconsciemment l'image flatteuse de son pouvoir. Conclusion La spécificité du théâtre consiste à mettre en scène des personnages qui sont eux-mêmes des acteurs. C'est ce que fait le dramaturge pour la rendre plus sensible. Mais, dans cette scène, Dumas s'écarte de cette mission à travers le récit d'Anna : au lieu de faire parler un acteur jouant une pièce (ce qui sera le cas dans le dernier acte), il choisit de faire s'exprimer une jeune femme qui raconte sa première expérience de spectatrice. [...]
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