Explication linéaire du sonnet de Du Bellay tiré des Regrets "Las, où est maintenant...", dans lequel le poète se prend à douter de son inspiration. Paradoxalement, il se montre bien plus inspiré qu'il ne le prétend.
[...] Maintenant qu'elle a disparu, le poète n'est plus alors qu'un homme comme les autres destiné à se noyer avec eux dans la finitude. Les deux derniers vers sont remarquables, d'ailleurs ils sont associés par le sens puisqu'ils déclinent la même idée d'un abandon des Muses ; mais ils le sont d'une façon si différente que la redondance passe presque inaperçue, avec ce Et qui laisse faussement croire qu'une réalité indépendante à la précédente va s'énoncer ; on a déjà montré que ce sonnet, comme peut-être la poésie en général, fait appel à une autre cohérence que la cohérence discursive Cette divine ardeur, je ne l'ai plus aussi : anacoluthe, rupture de construction qui viendrait presque mimer le discours parlé de la confidence - Quant à la chute, elle n'exprime aucune pointe spirituelle, aucune prouesse rhétorique, et fait place à une extrême simplicité. [...]
[...] On peut en effet percevoir deux niveaux de lecture. D'abord un niveau premier qui exprimerait une sorte de communion du poète avec la nature le vert tapis d'un rivage écarté les rayons de la Lune harmonie qui pourrait être perçue comme une lointaine préfiguration du romantisme, et qui s'exprime avec amertume et simplicité dans l'harmonie musicale de la strophe avec de nombreux effets d'allitérations douces: en s au vers en m dans le premier hémistiche du vers 6. Ce niveau premier recourt à une allégorie classique, celle de l'aspiration, avec l'image des Muses, mais DB la reprend pour la développer sous un jour original, avec l'image étonnante et fantastique d'une danse du poète avec les Muses. [...]
[...] De sujet maîtrisant il a le sentiment d'être devenu objet maîtrisé. Tous les verbes sont au présent, sauf le vers 10 à l'imparfait, nouveau rappel du passé, qui accentue encore le contraste par sa proximité avec les verbes au présent. L'émotion est plus poignante encore avec ce tercet : aux questions rhétoriques se sont substituées des constats tristes, exprimés avec une amertume calme puisque la ponctuation ne vient à aucun moment se heurter aux vers Le vers 11 exprime l'état d'accablement du poète avec l'hyperbole mille maux et le sens très fort à l'époque du verbe ennuyer Certes c'est un état très négatif qui est évoqué ici, mais en même temps force est de constater que les signes en lesquels DB croit reconnaître les signes de la décadence de son génie n'ont pourtant pas de rapport direct avec elle : que la Fortune soit maîtresse de lui, que son cœur soit serf de mille maux et regrets qui l'ennuient, cela ne prouve en rien que l'inspiration l'ait quitté. [...]
[...] Tercets La deuxième partie vient s'opposer brutalement à la première avec le terme Maintenant qui résonne comme la fin de la rêverie de la strophe précédente, comme un douloureux rappel à la réalité, réalité qui ne cesse d'être rappelée par les allitérations en m très nombreuses : les mots maitresse maitre mille maux m'ennuient renvoient par la sonorité à Maintenant Les tercets s'opposent de manière rigoureuse, terme à terme. Le vers 9 et 10 font respectivement écho aux vers 1 et 2. Fort contraste donc entre ce passé d'assurance, d'orgueil, synonyme d'inspiration, et le présent synonyme de doute et déchéance, d'une perte de maîtrise, le concept revient trois fois (maîtresse, maître, serf). Au mépris de Fortune s'est substitué l'asservissement à elle, au cœur maître un cœur maîtrisé. Le poète a le sentiment de ne plus être maître de son avenir. [...]
[...] Les rayons de la Lune viennent augmenter cette impression de mystère et d'irréalité, qui renvoie peut-être au mystère même de la création. Mais cette danse est si étonnante que finalement elle appelle un deuxième niveau d'interprétation, en quelque sorte il faudrait revenir à l'idée que les Muses sont l'allégorie de l'inspiration, et que l'inspiration ne danse pas, sinon peut-être dans la tête du poète, ce qui conduirait à voir dans ce tercet une allégorie de l'activité poétique : les doux plaisirs seraient ceux de la création, le vert tapis d'un rivage écarté pourrait être le bureau d'une chambre à l'écart, la nuit brune serait le moment de ce travail poétique. [...]
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