Réflexion prenant la forme d'une dissertation sur la figure de style de l'oxymore selon la problématique suivante : en quoi cette figure est-elle un puissant pouvoir de création ?
[...] Troublante impression Ce qui n'était - et n'est encore - que virtuel, se fait réalité. Et pourtant bruit et fureur éclatent en silence dans les grandes chasses aux lions de RUBENS ou encore plus extraordinaire, la Méduse du CARAVAGE qui, dans son hurlement pétrifié pour l'éternité, fait résonner en nous son orgueil bafoué par cet avorton de Persée et sa souffrance de ne pouvoir échapper à sa propre condamnation. Un cri de pierre, puissant de rage et irrémédiablement vain, cri éternellement enclos dans le silence de la toile de manière magique. [...]
[...] L'oxymore heurte dans un premier temps les consciences, bouleverse les données tangibles de notre compréhension pour se présenter de manière prégnante comme un mystère à résoudre. Défi pour l'intelligence ? Bien au contraire. Elle suppose une disponibilité totale du lecteur ou du spectateur face à cette incongruité apparente qui creuse sa cohérence dans l'ensemble du vers, du texte ou de l'image. Elle appelle à un abandon à ce que l'on ne perçoit pas comme immédiatement compréhensible, elle suppose une suprématie de la sensibilité et de la sensation sur l'intellect. [...]
[...] L'oxymore comble la réalité parfois un peu triste des mots, prisonniers de leur gangue de parole commune, utilitaire, de la pure fonction communicative du langage. Elle abolit son inanité et manifeste la brillante richesse du monde, enfin sorti de sa cachette Plus de manichéisme criant de sclérose ; c'est une figure de la libération de la parole et par là-même, de la pensée et de son pouvoir de création, de reconstruction, de renaissance, à l'image du Merveilleux malheur de Boris CYRULNIK, oxymoron savoureux et émouvant définissant la résilience, cette capacité qu'a l'être humain à puiser en lui-même des ressources inimaginables pour survivre à l'insupportable, aux gouffres du désespoir, à la traversée de sa propre mort. [...]
[...] Tout son écartèlement intérieur est exposé sur scène, bouleversante confession de sa haine pour elle-même, tout en aimant adorer cet être interdit. L'impossible émerge, prend corps avec l'oxymore, consistance au-delà de toute probabilité et affirme sa puissance d'émotion et son renouvellement du réel. Cet aspect est fréquemment à l'œuvre chez V. HUGO. L'infime devient géant, le diffus masse, le fragile force, l'indicible mot ; ainsi dans Les Travailleurs de la mer, ciselant une atmosphère fantastique et éblouissante de mystère, le mer de brume s'élève sous nos yeux étonnés, la muraille d'air fait soudain obstacle tout comme dans le poème des Contemplations je vis cette faucheuse les noirs squelettes laiss[ent] passer le crépuscule Cette figure apparaît comme la manifestation artistique la plus achevée de la puissance par l'éclatement et la fusion des opposés plutôt que la coexistence des contraires. [...]
[...] L'oxymore force l'intelligence du ressenti et la pousse dans ses retranchements. Avec elle, advient l'énergie puissante de l'interrogation et le regard neuf de l'enfant. Avec elle, on n'est enfin plus sérieux quand on a ans et plus ! Pouvoir vivifiant s'il en est, possibilité enfin actualisée de réduire toutes les fractures et dans un grand écart poétique d'ouvrir tous les possibles. Ainsi, Ulysse peut affirmer, en un clin d'œil, à Polyphème le cyclope qu'il est aveugle en ne percevant pas le sens de oudeis eimi je suis Personne Il affiche ici sa supériorité d'humain, sa subtilité face à la brutalité encore engluée d'animalité du géant à l'œil unique. [...]
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