Diderot, expliquant ses critiques, les fonde sur des critères précis, ceux-ci ne sont cependant pas disposés selon un ordre méthodique mais inscrit dans une succession de modalités qui forment une unité logique. L'extrait peut se découper en trois parties bien distinctes (...)
[...] Or lorsque Diderot annonce, à la fin du Salon de 1765, qu'il va légitimer son entreprise et sa posture de critique par un traité, ce n'est pas le traité auquel, en toute logique poétique, on pourrait s'attendre qu'il propose à ses lecteurs de la Correspondance littéraire : Après avoir décrit et jugé quatre à cinq cents tableaux, finissons par produire nos titres ; nous devons cette satisfaction aux artistes que nous avons maltraités, nous le devons aux personnes à qui ces feuilles sont destinées ; c'est peut-être un moyen d'adoucir la critique sévère que nous avons faite de plusieurs productions, que d'exposer franchement les motifs de confiance qu'on peut avoir dans nos jugements. Pour cet effet nous oserons donner un petit Traité de peinture, et parler à notre manière et selon la mesure de nos connaissances du dessin, de la couleur, de la manière, du clair-obscur, de l'expression et de la composition. Qui se mêle un jour de juger doit un jour produire ses titres S'il n'est ni artiste lui-même, ni spécialiste des beaux-arts, quel savoir lui permet de juger les œuvres ? [...]
[...] Diderot contribue ainsi à forger une image du génie créateur qui a particulièrement à faire avec la couleur, puisque c'est l'affaire du génie d'animer la matière, de donner vie à la toile et d'être en ce sens, divin. On comprend ainsi la comparaison de l'artiste et du dieu créateur qui revient souvent chez Diderot, en portant en tout cas sur ceux qu'il considère comme de grands coloristes (Chardin par exemple ; quelle différence il y a pour eux, a quatre pied de tes tableaux, entre le Créateur et toi p.119) Le jugement positif impliqué dans la phrase de transition est confirmé de façon emphatique et avec force de protestation au début de ce paragraphe : il [l'artiste] ne fera rien qui vaille si il ne mélange pas ses couleurs si il ne confond pas cet ordre Dans le passage suivant (depuis Celui qui a »l.24 jusqu'à attaché au cep »l.38) et selon un procédé qu'il utilise assez souvent, Diderot invite le lecteur à se transporter en imagination au lieu qu'il veut décrire, l'atelier, pour y voir travailler le génie Mon ami, transportez vous dans un atelier, regarder travailler l'artiste l. [...]
[...] Malgré cela les choix peuvent aussi être dû à l'état moral et psychologique du sujet, y comprit dans le choix de certaines couleurs. Celles-ci ne sont-elles pas définies dans certains cas avec un vocabulaire d'un champ lexical plus proche du moral que des éléments naturels (rouge meurtrier /jaune malade) or à l'inverse ne caractérise-t-on pas les états d'âmes par des termes liées à la lumière (être d'humeur sombre). La mélancolie, littéralement bile noire, s'exprimera dans les œuvres et leur donnera une teinte ténébreuse. [...]
[...] Avec ces quelques lignes il renverse ce point de vue classique, insistant sur une revalorisation de la couleur (on pourrait lier cela a sa philosophie matérialiste) Si le dessin est du coté de la forme, la couleur, c'est-à-dire le matériel dans l'art (la matière est origine de toute vie selon la philosophie de Diderot), est du coté de la vie. Celle-ci est le principe d'animation des œuvres. Voilà le souffle divin qui les anime l. 2-3 Cette revalorisation de la couleur dans son rapport au dessin accompagne donc sur le plan métaphysique, une revalorisation du sensible et de la matière dans leur rapport à la forme. Elle se double d'un paradoxe en forme de chiasme : peu savent juger du dessin, tout le monde peut juger de la couleur ; beaucoup savent dessiner, peu savent correctement utiliser la couleur. [...]
[...] Il n'y a que les maîtres dans l'art qui soient bon juges du dessin, tout le monde peut juger de la couleur» l. 4-5 On ne manque pas d'excellents dessinateurs ; il y a peu de grands coloristes l. 6-7 Et si l'art des couleurs ne relève pas seulement d'un enseignement et d'une méthode scolaire (l'Académie nationale des Beaux-arts), alors il fait autre chose qui ne peut s'enseigner, qui est le génie, comme le souligne la double analogie avec la littérature. [...]
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