La première guerre mondiale marque un coup d'arrêt brutal à ce que l?on a pu appeler rétrospectivement la « Belle Epoque », et la période qui suit le conflit sonne l'heure d'un réveil douloureux. Il s'agit alors de prendre la mesure de l'ampleur des dégâts, de l'horreur des massacres. A l'heure du bilan, Roland Dorgelès dans Les croix de bois (1919), mais aussi dans Le Cabaret de la belle femme (1919), ou encore Le Réveil des morts (1923), retranscrit l'atmosphère de la guerre telle qu'elle s'est déroulée et vécue en France. S'étant engagé volontairement dans l'infanterie en 1914, et ce, bien que réformé, il peut faire part de son expérience personnelle, à titre de témoin et d'acteur. Dans Les croix de bois, roman pour lequel il obtient le prix Goncourt en 1919, il retrace la vie quotidienne du soldat au front et dans les tranchées, le réalisme dévoilant des conditions de vie insoutenables, et toute la violence de la guerre.
[...] Vous le savez par les journaux et par les lettres de vos enfants, maris et frères. Or la condamnation de la guerre et de son absurdité, présente dans Les Croix de bois, situe le livre aux antipodes de la littérature héroïque telle que Barrès et autres patriotes l'ont conçue . La brèche du réalisme de guerre en littérature avait été ouverte par Barbusse, qui en 1916 publie Le Feu , qui s'était servi de la description des charniers pour dénoncer l'horreur de la guerre des tranchées, et la mettre en évidence. [...]
[...] Mais un tel récit ne doit pas servir de base à une histoire événementielle, factuelle. Il peut intéresser la recherche historique dans l'optique de la nouvelle histoire par exemple. Car un roman ne vaut pas tant comme source d'information, qu'en tant que vision subjective des faits. Or justement la nouvelle histoire qui se développe en France dans les années 1960 place l'individu, le sujet particulier, au cœur de la réflexion historique. Ce ne sont plus les événements que l'on étudie pour eux-mêmes, mais la façon dont ils sont vécus par des individus particuliers. [...]
[...] Brusquement on ne vit plus rien. Ce passage est assez révélateur d'un aspect caractéristique du roman : le soldat perçoit les combats, mais sans jamais vraiment comprendre ni savoir ce qui se passe exactement. Cette part d'inconnu fait partie de l'insoutenable car elle s'ajoute à l'angoisse constante. C'est tout cet univers de sensations que Dorgelès propose à son lecteur pour lui donner une vision plus complète, plus vivante, mais surtout très proche du soldat, et de la manière dont il appréhende le combat. [...]
[...] De même André Maurois ou Maurice Genevois décrivent les souffrances de la guerre à partir de leur propre expérience. Mais cette prise de position idéologique sur le plan littéraire correspond bien sûr à une opinion sur la guerre. En effet, le roman semble devenir le lieu de la condamnation de la guerre. Celle-ci se manifeste de façon relativement explicite au travers de la question du pourquoi? qui ne trouve pas de réponse. C'est ainsi que peut être soulignée l'absurdité du conflit. Le narrateur prend part à cette incompréhension lorsqu'il pense : Pourquoi sommes nous là, tous? . [...]
[...] Les Croix de bois sont un témoignage personnel, s'enracinant dans une expérience vécue, sur la vie au front pendant la première guerre mondiale en France. Mais un tel témoignage trouve sans doute sa place dans une étude historique du conflit, puisqu'il permet de comprendre comment des soldats ont ressentis une guerre dont ils étaient les acteurs et les témoins. Il ne s'agit pas de comprendre la guerre en elle-même, mais une guerre vécue. Si le roman de Dorgelès est bien une description des conditions de vie dans les tranchées, il est une prise de position à propos de la guerre, et même de la littérature et des écrits qui concernent la guerre, par là il trouve sa place également dans une étude historiographique de la guerre. [...]
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