La "composition instable" des Tragiques désigne l'éventail des ressources stylistiques qu'Agrippa d'Aubigné met à sa propre disposition pour donner une réponse coercitive aux turpitudes des mœurs. La satire, l'outrance pamphlétaire et l'ironie constituent, à la vérité, les formes suprêmes du discours polémique : elles représentent l'écriture de combat que le poète patriote-calviniste, dans son désir d'intervention directe contre la tragédie des guerres de religions, se prescrit. Pour lui, il s'agit de détruire les ennemis de la France et de l'Église.
Cela s'effectue par la variation des postures locutoires, que manifeste l'altérité énonciative et les niveaux sur lesquels celle-ci compte jouer : appel au jugement du lecteur à travers la représentation du mundus inversus, guerre des mots, mise en jeu ou effacement du sujet énonciateur en vue de la persuasion, prises de position prédicatrice sans autre mandat que celui d'un Dieu-justicier. Tout cela se caractérise par l'exhibition des vices et l'agressivité de la violence verbale, qui empruntent des styles multiples allant de la dérision au soulèvement vindicatif, de l'attaque ad hominem à la menace iconoclaste.
[...] Aussi, parce qu'elle se veut "engageante" par le biais des échanges émotionnelles avec le lecteur qu'il faut émouvoir et mettre en mal avec les cibles, l'écriture polémique impose-t-elle une lecture suivie de la mise en abîme, une analyse pragmatique du discours poétique qui se veut agissante et recherche une nette efficacité concrète, des actes effectifs qui lui donnent des attributs performatifs spécifiques non négligeables. Nous déplaçons donc, quelque peu, le terrain de notre approche méthodique des Tragiques en interrogeant, maintenant, les outils et les tours rhétoriques qui nourrissent l'écriture polémique albinéenne. L'engagement, tel que Sartre l'a conçu, repose sur la signification de l'acte d'écriture sur lequel l'auteur de Qu'est-ce que la Littérature ? revient, largement, par trois interrogations essentielles : pourquoi écrit- on ? De quoi parle-t-on ? À qui parle-t-on ? [...]
[...] C'est en ce sens qu'Agrippa d'Aubigné en veut aux flatteurs qui, coupables d'avoir travesti les mœurs par les milles fleurs de rhétorique, ont failli à leur fonction de conseillers. La création albinéenne définit le texte poétique des Tragiques comme le grand manifeste de "l'esprit nouveau" du XVIe siècle finissant. L'intertextualité conflictuelle se montre comme le signe des exigences esthétiques identiques aux grands poètes baroques réformés à l'épreuve de la tragédie des guerres de religions. Outre l'"Avis au lecteur", les exordes des livres I et II sont le lieu, par excellence, des proclamations d'avant-garde du poète huguenot. [...]
[...] La renovatio poétique se fonde, ici, sur la "révolte interdite" que traduit la rupture des liens avec les ordres établis. Elle est conséquente de la nostalgie de l'âge d'or de l'honneur ancien de France et du dogmatisme biblique, qui commandent la satire et les détonations vindicatives. Tous ces traits combinés prédisposent le discours des Tragiques aux violences verbales de toutes sortes, à la bucolique à rebours aussi. Ils soulignent l'émergence féroce d'une verve licencieuse totalitaire, d'une création stylistique provocatrice qui s'oppose, de façon farouche, à tout ce qui précède. [...]
[...] Écrire, autrement que sous l'impulsion du mimétisme de l'inflation de l'horreur et des soulèvements vindicatifs que celle-ci commande, semble une haute trahison, historique et poétique, aux yeux d'Agrippa d'Aubigné. C'est ainsi qu'à la suite des déclarations d'avant-garde, l'argumentation poétique affiche clairement les positions stylistiques : elle se fonde, essentiellement, sur la nécessité de la franchise du vers, qui repousse les positions concurrentes de François de Malherbe, Pierre de Ronsard, et Calvin dans une moindre part. Il en résulte, ainsi, que le lecteur est mis en demeure de choisir son propre camp. [...]
[...] Tout cela se caractérise par l'exhibition des vices et l'agressivité de la violence verbale, qui empruntent des styles multiples allant de la dérision au soulèvement vindicatif, de l'attaque ad hominem à la menace iconoclaste. La dispersion et la pluralité stylistique interdisent la systématisation thématique des Tragiques : tableaux d'horreur et irruptions vindicatives se combinent ici. D'une part, le poète est trop tourmenté pour ranger les horreurs qu'il dépeint ; d'autre part, il est trop indigné et vocifère férocement pour se plier aux normes imposées par les traditions poétiques antédédentes. [...]
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