... Depuis Esope jusqu'à aujourd'hui en passant par La Fontaine et ses Fables ou encore les contes philosophiques de Voltaire, l'apologue a su trouver les faveurs des auteurs comme un genre argumentatif à part entière aux côtés de l'essai ou du dialogue d'idée. Ce court récit, souvent plaisant, à visée argumentative séduit par sa popularité large, son caractère concret et abordable et pour les qualités littéraires qu'il exige...
[...] Et il souriait avec amour au petit oiseau bleu qui lui mangeait le crâne innocemment. Quelquefois cependant la peur le prenait, il avait des envies d'être avare ; mais alors la petite femme venait vers lui en sautillant, et lui disait : Mon mari, qui êtes si riche ! achetez-moi quelque chose de bien cher . Et il lui achetait quelque chose de bien cher. Cela dura ainsi pendant deux ans ; puis, un matin, la petite femme mourut, sans qu'on sût pourquoi, comme un oiseau . [...]
[...] Il aimait du meilleur de son âme une petite femme blonde, qui l'aimait bien aussi, mais qui préférait encore les pompons, les plumes blanches et les jolis glands mordorés battant le long des bottines. Entre les mains de cette mignonne créature - moitié oiseau, moitié poupée - , les piécettes d'or fondaient que c'était un plaisir. Elle avait tous les caprices ; et lui ne savait jamais dire non ; même, de peur de la peiner il lui cacha jusqu'au bout le triste secret de sa fortune. Nous sommes donc bien riches ? disait-elle. Le pauvre homme lui répondait : Oh ! oui . [...]
[...] Le message est au moins double : certes l'argent ne fait pas le bonheur semble d'abord dire le récit mais le dernier paragraphe nous invite à une interprétation de portée plus large qui pour l'auteur prend rétrospectivement un caractère étonnamment prémonitoire puisque à partir de 1880, il subit les premières attaques d'une maladie incurable de la moelle épinière. Ce texte montre les qualités de ce genre argumentatif populaire qu'est l'apologue. Le lecteur s'y laisse divertir comme dans un conte, découvre des personnages réduits à un code existentiel simplifié, suit l'action avec facilité et intérêt et se laisse enfin persuader par une leçon qui semble s'imposer naturellement. Ces qualités font de l'apologue un genre argumentatif majeur même si on pourra lui reprocher parfois sa simplification ou même la pluralité des interprétations qu'il recèle. [...]
[...] L'Art du récit 1 Structure A. Personnages I. Les registres fantastique, pathétique et tragique au service de l'édification La leçon Cet apologue travesti d'abord en lettre puis en conte fantastique livre donc un message complexe qui semble plus profond qu'en apparence pour son auteur. L'art du récit nous fait suivre la déchéance annoncée d'un homme dont l'originalité fantastique apparaît bientôt comme une métaphore de l'intelligence et de la sincérité face aux affres de l'existence. Pathétique et même tragique, ce destin fictif entre en résonance avec des destinées bien réelles d'hommes du XIX° siècle dont la seule richesse est ce cerveau non pas fait d'or mais d'un don intellectuel ou artistique que Daudet connaît bien. [...]
[...] Que lui importait son or maintenant ? . Il en donna pour l'église, pour les porteurs, pour les revendeuses d'immortelles : il en donna partout sans marchandises . Aussi, en sortant du cimetière, il ne lui restait presque plus rien de cette cervelle merveilleuse, à peine quelques parcelles aux parois du crâne. Alors on le vit s'en aller dans les rues, l'air égaré, les mains en avant, trébuchant comme un homme ivre. Le soir, à l'heure où les bazars s'illuminent, il s'arrêta devant une large vitrine dans laquelle tout un fouillis d'étoiles et de parures reluisait aux lumières, et resta là longtemps à regarder deux bottines de satin bleu bordées de duvet de cygne. [...]
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