On oppose souvent Corneille à Racine. Le contexte historique n'est pas innocent à l'opposition de ces deux auteurs. En effet, il est essentiel de rappeler qu'ils ne sont pas de la même génération ; tout du moins, le petit intervalle qui les sépare est un abîme entre leur style dramaturgique. Corneille développe son théâtre sous le règne de Louis XIII ; nous précédons la période de la Fronde. C'est une époque qui baigne encore -et ses pièces en témoignent- dans l'héritage des vertus féodales (honneur, devoir filial, gloire...) et que nous retrouvons dans Le Cid. Ce sont des vertus apparaissant comme étant aux antipodes de celles que nous retrouvons dans Andromaque de Racine, en l'occurrence la passion amoureuse. L'amour est au centre de cette pièce tragique ; Racine développe son théâtre sous le règne de Louis XIV où les passions sont au centre du débat littéraire. En effet, après la victoire de l'absolutisme, le débat se penche sur l'amour : principale activité des salons et de la cour. De 1649 à 1678, on ne parle que de cela, en 1655 c'est le thème majeur de la tragédie (1667, Andromaque) ; la dimension politique est alors absente (...)
[...] C'est aussi et encore cette même gloire, espèce de passion, la volonté de vengeance qui pousse le héros du Cid à tuer le comte. La conception de l'amour de Racine jusqu'à Andromaque n'est pas si différente de celle de Corneille : c'est un amour qui s'exprime sur le plan de la gloire, un amour lié au mérite et à la valeur. Pyrrhus aime Andromaque car elle incarne une certaine valeur, Chimène aime Rodrigue car il est estimable et incarne l'honneur. Corneille et Racine, deux auteurs nés à des moments historiques importants sont distincts sur la conception de l'amour, du héros. [...]
[...] Pyrrhus ne semble plus être ce «fils d'Achille et le vainqueur de Troie car il découvre que ses exploits n'étaient que des crimes et des excès de rages Certes sur ces points, on peut opposer Corneille à Racine. Cependant, ne faudrait-il pas nuancer sur cette opposition ? Est-elle si radicale ? Ce serait se méprendre de croire cela, en effet, nous l'avons vu, ce qui attire surtout les personnages des deux pièces est l'estime, l'orgueil, la gloire, thèmes omniprésentes et parfois implicites dans Andromaque comme dans Le Cid. [...]
[...] L'amour de Pyrrhus n'est rien moins que la réaction de sa volonté face à Andromaque qui le dépasse psychologiquement et moralement ; c'est surtout cela qui le dérange, l'irrite profondément dans son orgueil et son ambition. Ce serait parfait pour lui si Andromaque pouvait l'épouser car cela irait à l'encontre de sa dévotion pour Hector, et attiserait la colère des grecs. Quoi de plus prestigieux pour un seul homme ? Ce serait le comble pour l'orgueil de Pyrrhus. Ce dernier est certainement davantage fier qu'amoureux. Pyrrhus a surtout un besoin d'être reconnu par son idéale qu'est Andromaque. Le refus de cette dernière de lui céder l'exaspère profondément dans son orgueil. [...]
[...] Il n'y a pas de rupture entre l'honneur et l'amour et cela était déjà annoncé dans l'épisode des stances de Rodrigue. Les héros cornéliens doués de raison savent ce qu'ils veulent ; l'honneur prime sur l'amour mais c'est pour nos héros, le seul moyen d'être digne d'amour. Pour Corneille le libre-arbitre est essentiel c'est pour cela qu'il crée de tels personnages ayant pour caractéristique de raisonner et de ne pas se laisser envahir par la passion amoureuse. Maître de lui-même et de ses agissements, le héros cornélien est dès lors capable d'affronter tous types d'obstacles et de dangers, comme la passion amoureuse. [...]
[...] Il s'agit dans les deux pièces d'un amour d'ambition, de gloire. N'y aurait-il pas cette omniprésence du moi chez Rodrigue comme chez Pyrrhus ? Nous l'avons vu, ce sont des personnages qui se ressemblent. Andromaque est très orgueilleuse et c'est sa fierté qui l'empêche de parler à Pyrrhus à la scène 6 de l'acte III. Hermione aussi apparaît comme un personnage très fier, enfermée dans son système, elle se sert d'Oreste comme d'une marionnette. C'est ce même orgueil qui prendra le dessus sur sa passion car sa faiblesse l'indignera au moment où elle décidera la mort de Pyrrhus ; elle prendra conscience de cette décision et reculera (trop tardivement). [...]
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