Pridamant est l'objet de l'illusion dans la mesure où il tient un rôle singulier : en effet, il ne participe pas à l'intrigue principale, qui est celle de la vie passée de Clindor dans l'Acte II, III et IV et, le croyons-nous, l'Acte V. Il est témoin de l'action, et non pas acteur.
Autrement dit, Pridamant est le pendant sur scène du spectateur dans la salle. En effet, deux niveaux de représentations coexistent dans la pièce ; au premier niveau, Alcandre et Pridamant assistent à une pièce retraçant les aventures du fils banni, puis à l'acte V, à une pièce de théâtre. Au deuxième niveau, le public lui-même assiste à la pièce de Corneille, embrassant dans sa vision les réactions de Pridamant et d'Alcandre et également l'illusion interne de la représentation de la vie de Clindor (...)
[...] La position originale de Pridamant, spectateur sur la scène de la représentation fictive qui a lieu sur la scène même, renvoie par un jeu de miroir à la condition habituelle du public, à une qualité près : alors que ce dernier est conscient d'assister à une représentation, Pridamant lui joue sa vie, fictive à nos yeux, réelle dans la pièce, si bien que pour lui aucune distanciation n'est possible ; c'est le spectateur absolu. Le théâtre, art de l'illusion par excellence, trouve dans le personnage de Pridamant son plus parfait spectateur, ce qui va permettre à Alcandre de jouer avec lui. [...]
[...] Mais bien entendu, Pridamant est inconscient de cette visée. Pour lui, comme pour nous, la représentation de la réalité donnée par Alcandre est la réalité même. C'est tout le plaisir du spectateur de théâtre de prendre pour réel ce qui ne l'est pas. Dès lors, l'émotion générée par la mort de Clindor, qui n'est qu'une illusion, lui fait perdre ses valeurs, qui sont elles, bien réelles. En effet, Pridamant avoue sa métamorphose à la dernière scène : J'ai cru la comédie au point où je l'ai vue, j'en ignorais l'éclat, l'utilité, l'expression Certes, cette conversion des affects a permis à Pridamant et à Clindor de se retrouver, mais qu'en serait-il si Alcandre avait présenté l'Acte V ce qu'il est, c'est-à-dire une représentation théâtrale ? [...]
[...] En effet, à la sixième scène de l'Acte Alcandre brise l'illusion en annonçant à Pridamant que la mort de Clindor est un trompe-l'œil et que ce dernier est comédien. On pourrait penser que ce démembrement de la machine illusionniste signifie pour Pridamant, comme pour le public, que le théâtre n'est qu'une illusion. Alcandre nous aurait manipulé gratuitement et n'aurait mis en évidence que le caractère mensonger du théâtre. Mais bien au contraire, le fait de mettre en évidence l'illusion permet d'instaurer une distanciation entre celui qui regarde et l'objet du regard, de nous faire prendre conscience du theatrum mundi dans lequel nous vivons et que l'illusion comique dénonce. [...]
[...] Du point de vue de l'intrigue, Pridamant est bénéficiaire de l'illusion, puisque le dénouement est heureux et qu'il part retrouver Clindor à Paris. C'est par le théâtre, par la représentation de la vie de Clindor, par la baguette d'Alcandre le dramaturge que Pridamant a vu ce qu'il ne pouvait voir par d'autres moyens. Au début de la pièce, Pridamant inspire de la pitié par son attitude de pénitent. Les dangers que traversent Clindor sont dignes d'une tragédie. Mais le dénouement est heureux, Clindor et Pridamant se retrouvent, le spectateur a l'âme contente La rime des vers 1813 et 1814 Mais depuis vos discours mon cœur plein d'allégresse a banni cette erreur avec que la tristesse et le fait qu'il redonne son nom Clindor a trop bien fait lui qui se faisait appeler Sieur de la Montagne au début de la pièce, témoignent de la communion retrouvée entre le père et le fils. [...]
[...] L'illusion comique de Corneille Sujet : Selon un critique contemporain, Pridamant, dans l'illusion comique de Corneille, est l'objet-bénéficiaire ou victime- de l'illusion Qu'est l'illusion au théâtre ? La Bruyère, dans le fragment 47 des Ouvrages de l'esprit des Caractères fait l'éloge de cette douce illusion qui est tout le plaisir du théâtre Le théâtre nous donne à voir en effet pour réel ce qui ne l'est pas, nous trompe, mais de notre plein gré, à l'inverse du theatrum mundi de la comédie humaine dans laquelle nous sommes engagés et jouons un rôle sans nécessairement en avoir conscience. [...]
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