Les huit premiers vers rendent bien compte de cette évolution du mensonge à la vérité :
Dans les quatre premiers le ton est grandiloquent, Clindor y tient le discours du chevalier qui meurt pour sa Dame (Isabelle est d'abord vouvoyée et idéalisée à la différence de la fin du passage) comme dans la tradition courtoise comme s'il voulait se persuader qu'une mort glorieuse est une mort heureuse (...)
[...] Il aura fallu au personnage ce cheminement en lui-même pour trouver sa vérité : le héros est devenu un homme. Clindor est pathétique mais le spectateur peut-il compatir? On est dans un cas d'ironie dramatique où le spectateur en sait plus que le personnage. Clindor pourrait avoir une dimension tragique mais ce tragique est désamorcé, il n'empêche que son discours sur la condamnation à mort présente un intérêt qu'on bien exploité certains metteurs en scène comme George Wilson au Théâtre National Populaire (TNP) en 1965. Des vers 1249 à 1264, Clindor désigne les responsables de sa mort prochaine. [...]
[...] D'un péril évité je tombe en un nouveau, Et des mains d'un rival en celles d'un bourreau. Je frémis à penser à ma triste aventure ; Dans le sein du repos je suis à la torture : Au milieu de la nuit, et du temps du sommeil, Je vois de mon trépas le honteux appareil ; J'en ai devant les yeux les funestes ministres ; On me lit du sénat les mandements sinistres ; Je sors les fers aux pieds ; j'entends déjà le bruit De l'amas insolent d'un peuple qui me suit ; Je vois le lieu fatal où ma mort se prépare : Là mon esprit se trouble, et ma raison s'égare ; Je ne découvre rien qui m'ose secourir, Et la peur de la mort me fait déjà mourir. [...]
[...] L'impression d'acharnement contre Clindor ne s'arrête pas là car le Destin lui-même semble s'être joué de lui et c'est en cela qu'il revêt une stature tragique, le vers 1261 ''Ainsi, de tous côtés, ma perte était certaine'', par l'hyperbole fait de lui une victime toute désignée, prédestinée à mourir et dont les efforts pour échapper à son destin étaient vains comme le confirme l'antithèse du vers suivant repoussé la mort, je la reçois pour peine''. Ce monologue témoigne donc de la dextérité de Corneille dans le registre tragique où il va exceller mais confirme le baroque de l'illusion comique, foisonnement de registres (Pridamant d'abord pathétique, Matamore héroï-comique . Clindor donne ici un bel exemple de lyrisme cornélien notamment à la fin du passage. Le lyrisme est en effet vérifié ici par l'omniprésence du : une quarantaine d'occurrences en 42 vers. [...]
[...] C'est le régime élégiaque du lyrisme qui est ici exploitée : ce monologue est une plainte face à la mort imminente comme le confirment les verbes utilisés : frémis'' (vers 1265), trouble, s'égare'' et le vers 1276 la peur de la mort me fait déjà mourir''. Clindor exprime une souffrance mentale dont les hyperboles donnent bien la mesure ''torture'' (vers 1266), ''terreurs'' (vers 1278). Cette souffrance intense est provoquée par le spectacle de sa propre mort dont il a l'hallucination comme le signale la reprise anaphorique de vois'' (vers 1268, 1273). [...]
[...] Dans ''l'examen de la pièce'' en 1660, Corneille en justifie la présence en affirmant ''Quand un acteur parle seul, il faut que ce soit par les sentiments d'une passion qui l'agite''. Le monologue de Clindor s'inscrit dans cette logique. Le héros est en prison depuis quatre jours, à la veille de son exécution. C'est un moment fort où Clindor va prendre conscience de luimême après s'être illusionné sur lui, c'est la seule fonction de ce monologue puisque le spectateur est informé dès la scène 2 du même acte que le héros va être libéré. [...]
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