Commentaire composé : "Les Regrets XLVIII" (Joachim Du Bellay).
[...] On me donne la gêne, et si(4) n'ose crier, On me voit tourmenter(5), et si n'ose prier Qu'on ait pitié de moi. Ô peine trop sujette ! Il n'est feu si ardent, qu'un feu qui est enclos, Il n'est si fâcheux mal, qu'un mal qui tient à l'os, Et n'est si grand' douleur, qu'une douleur muette. Joachim Du Bellay, Les Regrets XLVIII Du Bellay se trouve à Rome en qualité d'intendant de la maison de son oncle, le Cardinal Jean Du Bellay. Cuider : croire. Se dispenser de : se permettre de. Si : pourtant. [...]
[...] L'impossibilité de s'exprimer 1. Un déchirement : l'antithèse La souffrance est due à la tension entre deux forces antagonistes, exprimées au début des tercets : deux vers syntaxiquement semblables opposent le tourmenteur, anonyme on et le poète souffrant, dans le deuxième hémistiche, sans pronom sujet exprimé, suivant l'usage du latin et de l'ancien français : si n'ose quand nous dirions et pourtant je n'ose pas Les deux termes de l'opposition sont paradoxalement coordonnés par et et non opposés. La similitude des deux vers est frappante, les deux derniers hémistiches étant pratiquement homophones : ils ne différent que par l'initiale de crier et de prier la rime étant presque étendue aux six syllabes. [...]
[...] Le dernier terme du sonnet est l'adjectif muette qui qualifie le pire malheur qui puisse arriver à un écrivain : le silence imposé. Conclusion Ce poème élégiaque est donc original puisqu'il n'exprime ni la souffrance amoureuse, ni la crainte de la mort. Le poète souffre parce qu'il est contraint de vivre dans le mensonge et l'hypocrisie, et, surtout, parce qu'il ne peut s'exprimer librement. Ce poème est un cri de révolte et de souffrance. Il concerne tous les écrivains qui subissent les contraintes politiques mais aussi l'ensemble des hommes, puisque les artistes s'expriment pour tous les hommes. [...]
[...] Il écrit alors un grand recueil élégiaque, Les Regrets, qu'il achèvera en France. On en connaît surtout les poèmes de l'exil, dont le fameux Heureux qui comme Ulysse Le poème XLVIII exprime avec force sa souffrance : il est contraint de se taire et ne supporte plus l'atmosphère de mensonge qui l'environne. Nous examinerons d'abord l'absence de liberté, puis l'expression de la souffrance, et enfin l'impossibilité de s'exprimer. I. L'absence de liberté 1. Vivre dans la contrainte Le verbe contraindre est employé trois fois dans le premier quatrain, parce que le poète est soumis à une double loi : il ne lui est pas permis de dire la vérité, et pourtant cette vérité s'impose à lui. [...]
[...] qui a ici son sens ancien de torture, tout comme tourmenter peine mal (trois occurrences), douleur (deux occurrences) Elle s'exprime aussi par la métaphore filée du feu au vers 12 : Il n'est feu si ardent, qu'un feu qui est enclos Elle est valorisée par l'antithèse initiale Ô combien est heureux, qui n'est contraint de feindre suivant la formule latine initiale des poèmes élégiaques, et aussi de Virgile : Fortunatos nimium [ ] agricolas , Ô bienheureux les paysans De même, Las l'exclamatif favori des Regrets, donne la note initiale de la plainte au début du deuxième quatrain, tout comme les ô au début du vers 1 et à la fin du vers 11, comme pour encadrer les trois premières strophes dans ce constat d'impuissance Une souffrance morale et physique C'est une souffrance morale qu'éprouve le poète, mais celle-ci est exprimée par le vocabulaire de la souffrance physique. Le moral et le physique se croisent : un mal de âme (v. qui tient à l'os (v. 13). C'est une métaphore classique (en particulier dans la poésie baroque). [...]
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