Commentaire composé de l'épisode de la dictée extrait d'Enfance de Nathalie Sarraute. Elle exprime sa souffrance vis à vis de ce que lui fait subir sa mère, et son refuge dans l'école et plus particulièrement dans l'écriture. La scène familière est revécue grâce au présent de narration qui respecte la démarche analytique de la jeune fille face aux mots de la dictée. Comment l'investissement de l'enfant dans le rapport aux mots parvient-il à compenser le vide affectif laissé par la mère ?
[...] L'école et la dictée sont donc le lieu d'une réparation. Le sujet s'appréhende dans l'écriture et échappe ainsi aux signes inconnus que les autres projettent en elle, sans lui en donner les règles. Enfant de divorcés, enfant déchirée et donc coupable d'être toujours mise en demeure de choisir, sans pouvoir échapper à l'univers de la séparation, elle rétablit dans la correction du langage l'intégrité et l'unité de son moi. L'écriture devient un espace référentiel où se fixe le souvenir : l'enfance ne peut plus exister que dans les mots, des mots que l'on maîtrise et que l'on respecte et qui donnent leur clarté à l'informe, refoulé. [...]
[...] Le lexique aussi s'oppose. A la clarté la netteté la beauté la pureté succèdent des remuements obscurs, inquiétants des fantaisies ; au contentement à l'apaisement le mal et la douleur Le personnage tutélaire de la maîtresse, défini par l'article, fait place à l'indéfini on dont l'identité est également incertaine. Si la dictée permet l'accès à une révélation de soi, à un éclaircissement de ce que l'on est pour les autres, la fin du texte au contraire traduit une volonté d'obscurcir, de recouvrir, d'étouffer une vérité sur soi. [...]
[...] Tout d'abord isolée dans l'expérience de l'école, la dictée permet une quête de l'identité dans l'écriture. II. Par ailleurs, les mots permettent de se situer dans le rapport à autrui et d'échapper au surgissement de l'affectif qui menace l'intégrité et l'identité du moi. La dictée pour l'enfant, ce sont d'abord des mots. Le signe est répété huit fois dans le passage, toujours déterminé de plus en plus précisément, dans une sorte de gradation : chaque mot tel mot des mots choisis pour leur beauté ce mot que j'écris Progressivement, le mot acquiert une personnalité, il se met à exister dans le texte. [...]
[...] La maîtresse n'est pas nommée, elle est définie par sa fonction : elle possède et elle transmet le pouvoir des mots même elle triche un peu en accentuant exprès une liaison pour nous aider La maîtresse permet de s'approprier les mots, elle donne à l'enfant les règles qui lui permettent de s'identifier dans les mots qu'elle écrit, sans être contaminée par les mots des autres. L'angoisse du mot inconnu, qui soulève quelque chose qui me fait mal est conjurée à l'école grâce à un pouvoir féminin dégagé de toute affectivité contrairement à celui exercé par la mère. La maîtresse est la gardienne de ce monde sécurisant, à l'abri des caprices monde de l'objectivité du langage, de la maîtrise des mots par l'enfant, qui accède ainsi à l'autonomie. [...]
[...] L'accumulation des verbes de mouvement traduit ce parcours initiatique à l'intérieur de la phrase, cette recherche fructueuse de l'enfant tout entière occupée à vaincre les obstacles et qui tend, parcourt, hésite, revient, trouve, dégage, inspecte avant d'exulter dans la joie de la découverte oui, c'est lui, c'est bien lui le sujet La répétition traduit la jubilation lorsque la loi immuable, garantie de la perfection du signe peut être appliquée. Car l'effort fourni par la fillette produit un apaisement un contentement Les deux substantifs insistent sur la satisfaction éprouvée, et la poursuite de l'effort, de la tension, interrompue par les points de suspension, montre que le plaisir de la dictée n'a pas de fin. Car la victoire se double d'une satisfaction morale. [...]
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