Citation complète: "Dans l'individu, le romancier isole et immobilise une passion, et dans le groupe il isole et immobilise un individu. Et, ce faisant, on peut dire que ce peintre de la vie exprime le contraire de ce qu'est la vie : l'art du romancier est une faillite". Affirmer l'ambition du romancier de se faire peintre de la vie, c'est reprendre une tradition fort ancienne, qui a sans trouvé avec Balzac son expression la plus systématique. Celui-ci souhaitait en effet que l'on trouvât dans son œuvre non seulement des caractères et des passions, des vices et des vertus, mais encore une image complète de la société de son temps. Or cette ambition immense aboutit selon François Mauriac, à un échec : alors que la vie établit entre les êtres des relations multiples en constante variation, le romancier choisit d'isoler un individu dont il fait, non sans arbitraire, le « héros » de son livre, et il l'immobilise en une période de crise plus ou moins durable. Encore cet individu ne l'intéresse-t-il que par une partie limitée de son moi : la passion maîtresse qui devient, dans le roman, l'aspect essentiel, voire unique, de sa personnalité. Il serait donc tout à fait illusoire de prétendre de faire du roman une image de la vie : « l'art du romancier est une faillite », affirme Mauriac dans Le Romancier et ses Personnages.
Sensibles à ce double problème, de l'étroitesse du cadre social et de la prédominance excessive du héros passionné, certains écrivains ont tenté d'orienter le roman dans d'autres voies. Mais on peut surtout se demander si le mot « vie » n'est pas ambigu, s'il n'existe pas une « vie » du roman, différente sans doute de la vie réelle, mais plus profonde et, d'une certaine façon, plus vraie.
[...] Nos actes, dans leur immense majorité, sont sans signification comme sans portée. Les nécessités de l'existence nous dictent une foule de conduites qui ne nous intéressent pas. Quant à nos tendances, passions serait trop fort dans la plupart des cas, elles ont bien du mal à s'épanouir au milieu des contraintes quotidiennes. En face de cette grisaille, le roman nous offre la revanche d'un accomplissement. A la différence de la nôtre, la vie romanesque est exemplaire Tout y est significatif. [...]
[...] Commentaire de la citation de François Mauriac : "Dans l'individu, le romancier isole et immobilise une passion, et dans le groupe il isole et immobilise un individu. Et, ce faisant, on peut dire que ce peintre de la vie exprime le contraire Affirmer l'ambition du romancier de se faire peintre de la vie, c'est reprendre une tradition fort ancienne, qui a sans trouvé avec Balzac son expression la plus systématique. Celui-ci souhaitait en effet que l'on trouvât dans son œuvre non seulement des caractères et des passions, des vices et des vertus, mais encore une image complète de la société de son temps. [...]
[...] George Sand, parlant de la place de l'amour dans les romans, écrivait : en aucun cas il ne faut l'avilir au hasard des évènements ; il faut qu'il meure ou qu'il triomphe Non, l'art du romancier n'est pas une faillite : il peint la vie, la seule vie intéressante. Mais, après tout, cette question des rapports du roman avec la vie n'est-elle pas un aspect particulier d'un problème plus vaste : celui des rapports entre l'art et la nature, l'art qui ne peut se passer de la nature et la nature qui reçoit de l'art plus qu'elle ne lui a apporté ? [...]
[...] La peinture de la vie par le roman serait, d'après Mauriac, une illusion, parce les groupes qui composent la société y sont arbitrairement réduits à quelques individus. Balzac aurait-il accepté cette critique, lui qui rêvait de faire de sa Comédie humaine une immense fresque sociale dans laquelle chaque groupe trouverait sa place ? En effet, les personnages de la Comédie humaine sont légion et le procédé même du retour des personnages qui se trouvent mêlés à des intrigues diverses et inclus dans des milieux sociaux différents empêche de considérer que le héros, chez Balzac, est isolé à l'intérieur d'un groupe déterminé : Lucien de Rubempré, dans Illusions perdues, est intégré à un milieu provincial, avant de devenir le grand homme de province à Paris changeant ainsi de groupe tout en restant lui-même et modifié malgré tout par la transformation du cadre dans lequel il évolue. [...]
[...] Est-il certain, d'autre part, que le h »ros du roman incarne nécessairement une passion que l'auteur isole et immobilise en lui ? Les exemples ne manquent pas de personnages qui, sans être des passionnés n'en sont pas moins des héros de roman picaresque, à Gil Blas qui est celui à qui arrivent toutes sortes d'aventures dont il n'est que le témoin et l'observateur ironique, à une date beaucoup plus récente, Meursault, le héros de L'Etranger de Camus, est le contraire d'un être dont une passion maîtresse conduit le destin : le sien est le résultat d'une série de circonstances qu'il n'a ni voulues ni prévues, auxquelles il est resté étranger Avant lui, Frédéric Moreau, le personnage central de l'Education sentimentale de Flaubert, est justement celui à qui fait défaut le dynamisme de la passion. [...]
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