Commentaire composé de l'Acte IV Scène 1 de Bajazet de Racine. L'intrusion d'une lettre au théâtre n'est pas un fait courant au XVIIème siècle, on en trouve une chez Molière dans l'école des femmes à l'Acte III Scène 4, lettre d'Agnès à Horace. Presque dix ans plus tard, Racine utilise cet objet dans Bajazet, c'est la première fois que l'auteur inclut dans sa fiction théâtrale une lettre, d'autant plus qu'on en trouve deux dans la pièce. En effet, les deux lettres se situent à l'Acte IV, la première dans la Scène 1 est une lettre de Bajazet à Atalide, la deuxième qui se situe à la Scène 3 est une lettre d'Amurat destinée à Roxane. Nous nous intéresserons à la lettre de la Scène 1 de l'Acte IV qui est une lettre provenant de l'intérieur du sérail contrairement à la deuxième, elle semble avoir une importance particulière puisqu'elle sera utilisée à plusieurs reprises, d'abord découverte par Roxane qui s'assure de la trahison de Bajazet puis elle devient élément de preuve pour pousser Bajazet à avouer qu'il aime Atalide à la Scène 5 de l'Acte IV (« Tiens perfide, regarde et démens cet écrit », cette lettre n'est pas alors isolée et épouse un rôle hautement dramatique. Mais dans la scène qui nous intéresse on pourrait quand même s'interroger sur le statut de cette lettre, primordiale dans la cohérence de l'Acte IV l'est-elle dans cette scène ? S'agit-il d'un nouveau noeud dans l'action, d'un coup de théâtre, d'un simple artifice sensé assurer la vraisemblance de l'intrigue ? Autrement dit, quelle est sa fonction ? On peut se demander également en quoi cette lettre révèle deux conceptions antagonistes du bonheur qui opposent les deux amants. Pourquoi peut-on parler d'un tragique paradoxal ?
[...] Cette situation renvoie à la scène 3 de l'acte IV dans laquelle Atalide reproche à Bajazet de s'être comporté comme un amant avec Roxane pendant la scène muette Cette lettre rassure alors Atalide sur l'amour qu'il lui porte et lui déclare avoir pris la décision de ne plus feindre une passion amoureuse pour roxane. Mais dans la scène qui nous intéresse on pourrait quand même s'interroger sur le statut de cette lettre, primordiale dans la cohérence de l'acte IV l'est-elle dans cette scène ? S'agit-il d'un nouveau nœud dans l'action, d'un coup de théâtre, d'un simple artifice sensé assurer la vraisemblance de l'intrigue ? Autrement dit, quelle est sa fonction ? On peut se demander également en quoi cette lettre révèle deux conceptions antagonistes du bonheur qui opposent les deux amants. [...]
[...] On est presque face à un paradoxe puisque la crainte, trouble sensé provoqué un désordre verbal ne peut avoir une certaine éloquence. L'abbé d'Aubignac dans un chapitre consacré aux discours pathétiques écrit : on doit avouer que ce désordre dans les paroles d'un homme qui se plaint, est un défaut qui affaiblit les marques extérieures de la douleur et il le faut réformer sur le Théâtre qui ne souffre rien d'imparfait Autrement dit, d'Aubignac prône une stylisation du langage passionné au risque d'affaiblir les marques extérieures de la douleur C'est en quelque sorte ce que fait Racine, qui exprimant le désordre d'Atalide utilise de grandes figures ainsi qu'un discours très structuré. [...]
[...] Pourquoi peut-on parler d'un tragique paradoxal ? Ce qui nous frappe d'emblée dans cette scène c'est que cette lettre qui semble prendre un caractère fondamental dans l'ensemble de la pièce n'a en réalité dans cette scène aucune utilité puisqu'elle n'apporte aucune information supplémentaire sur le plan dramaturgique. Ce billet est presque redondant, puisqu'il ne fait que résumer ce qui s'est passé dans l'acte III dans la scène 4 puisqu' au reproche d'Atalide, Bajazet se justifie et déclare : J'irai bien plus content et de vous et de moi / Détromper son amour d'une feinte forcée / que je n'allai tantôt déguisé sa pensée ce à quoi Atalide répond : Si vous m'aimez, gardez de la désabuser La scène 1 de l'acte IV reprend presque les mêmes paroles puisque Bajazet écrit : Faut-il qu'à feindre encore votre amour me confie ? [...]
[...] Cette absence est tragique au sens où elle préfigure la mort de Bajazet et par conséquent la mort d'Atalide. Atalide elle-même s'insurge contre l'inutilité de cette lettre qui ne fait que rappeler ce qu'elle sait déjà : Hélas ! Que me dit-il ? Croit-il que je l'ignore ? / Ne sais-je pas assez qu'il m'aime, qu'il m'adore ? [...]
[...] Alors que Bajazet lui chante son amour, Atalide a une réaction assez imprévisible puisqu'elle dénigre assez sèchement les propos de son amant. Les trois premières questions rhétoriques de la tirade qui suit la lettre sont assez brutales et introduisent une relation de domination presque à l'instar de celle de Roxane et de Bajazet. Bajazet doit s'accommoder Atalide et non le contraire, c'est lui qui adore Atalide comme une déesse, on a un subjonctif présent qui a une valeur d'ordre : qu'il l'apaise qui ignore catégoriquement la première injonction de Bajazet : n'exigez rien de plus On a une sorte de rapport de force virtuel dans lequel Bajazet n'a pas son mot à dire. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture