Albert Cohen, "Le livre de ma mère", Chapitre VII : commentaire

Résumé du document

Albert Cohen (1895-1981) est un écrivain suisse de langue française né à Corfou, fortement influencé par ses origines juives. Il fut journaliste et haut fonctionnaire, mais il laisse une oeuvre romanesque originale et importante, dont l'oeuvre majeure est Belle du seigneur (1968). Il est aussi l'auteur d'une autobiographie qui rend hommage à sa mère, décédée en 1943, et intitulée Le livre de ma mère (1954).

Dans cet extrait du chapitre VII, l'auteur raconte avec humour une anecdote de son enfance, la visite du médecin lorsqu'il était malade (...)

Extraits

[...] Elle est honorée et transformée par sa présence, ce que note l'hyperbole événement mondain et même réhabilit[ée] : forme de vie sociale qui signifie implicitement qu'elle n'en a pas, plus distinguée la faisaient une égale mais pour un moment rare seulement. Cette banale visite est donc pour elle un événement. La fin du premier paragraphe, avec l'interrogation oratoire qui s'adresse à une morte, renforcée par la métaphore si sevrée des joies de ce monde est pathétique et touchante. Elle est et elle a si peu, sans cependant en souffrir, qu'elle sort grandie de cette description. [...]

[...] Nous montrerons que l'auteur fait la satire du monde médical avec beaucoup d'humour, puis qu'il décrit sans concession le comportement des deux isolés que sont sa mère et lui-même. I La satire du monde médical et l'humour de l'auteur : Le narrateur présente un portrait très péjoratif du médecin et du pharmacien. Il emploie ainsi familièrement le mot crétin plusieurs fois pour désigner le docteur, se moque de son écriture, gribouillait décrit son nez par une opposition comique, pif majestueux Les substituts lexicaux qui désignent celui-ci sont ironiques et sarcastiques : ainsi l'expression pontifiant crétin parfumé traduit son orgueil et insiste sur une sensation qui lui semble écœurante, ce que confirme la métonymie tête à l'eau de Cologne L'emploi de litote, monsieur bien du dehors d'hyperboles ironiques, son éminence la merveille du monde notable grand homme en transe de savoir donnent un caractère caricatural à ce portrait, en insistant sur sa suffisance. [...]

[...] Albert Cohen (1895-1981), Le livre de ma mère, Ch. VII, extrait Texte : Soudain, je la revois, si animée par la visite du médecin venant soigner son petit garçon. Combien elle était émue par ces visites du médecin, lequel était un pontifiant crétin parfumé que nous admirions éperdument. Ces visites payées, c'était un événement mondain, une forme de vie sociale pour ma mère. Un monsieur bien du dehors parlait à cette isolée, soudain vivifiée et plus distinguée. Et même, il laissait tomber du haut de son éminence des considérations politiques, non médicales, qui réhabilitaient ma mère, la faisaient une égale et ôtaient, pour quelques minutes, la lèpre de son isolement. [...]

[...] Mais cette autobiographie est aussi une biographie-hommage de sa mère, qui est ici encore le personnage principal. De nombreux indices la désignent, des pronoms personnels, elle la mais aussi des groupes nominaux qui traduisent la compassion de l'auteur et son affection, comme ma mère par l'emploi de l'adjectif possessif, pauvre maman et surtout cette isolée Il évoque aussi son naturel, son ignorance et sa naïveté, en la comparant à une paysanne dans ce monde qui lui est étranger, elle qui portant appartenait à une famille de notable[s] L'auteur se moque ainsi de sa mère et de lui-même lorsqu'il était enfant. [...]

[...] Conclusion : Cet extrait décrit donc avec humour et ironie l'opposition entre deux mondes, celui des déshérités que sont l'auteur et sa famille, des déracinés isolés dans un monde sans pitié, et celui des nantis que représentent les professions libérales, que l'auteur semble mépriser. C'est ce qui donne à cette autobiographie ce ton si particulier, cette variété du style, tour à tour comique, pathétique ou polémique, mais aussi réaliste. La satire du monde médical rappelle évidemment celles de Molière ou de Jules Romain dans Knock. [...]