Ce qui est présenté comme la première partie de l'ouvrage dans la traduction française de La Civilisation des m?urs est en fait un long prologue. Ce passage porte sur l'antithèse culture-civilisation et il convient de l'inscrire dans le contexte des débats intellectuels de l'entre-deux-guerres qui opposent deux conceptions de la culture, la conception allemande particulariste et la conception française universaliste. Dans ce prologue, Elias fait à la fois l'historique de ce débat et du terme qu'il utilisera tout au long de son ouvrage celui de civilisation. Ce passage est également intéressant dans la mesure où il permet de rentrer dans le mode de pensée qui est celui d'Elias.
[...] La situation de la bourgeoisie allemande va se transformer lentement jusqu'à ce que celle-ci devienne le porte-parole de la conscience nationale puis la classe dominante. Mais, la bourgeoisie ne va pas pour autant abandonner le mode de raisonnement qui était le sien : l'antithèse sociale va se transformer en antithèse nationale. Ce processus est facilité par le fait que la civilisation a toujours été associée à la vie française, modèle des sociétés de cour allemandes. Ainsi, les caractères que s'attribuait la bourgeoisie vont devenir des traits considérés comme allemands tandis que les défauts attribués jusqu'alors à l'aristocratie seront considérés comme propres aux autres pays européens et en particulier à la France. [...]
[...] C'est cette époque qui voit l'invention de l'intimité. Progressivement, la plupart des fonctions corporelles passent dans le domaine privé. Un mur invisible se dresse entre les corps et empêche le contact entre les hommes : c'est l'époque de l'invention de la fourchette qui permet de ne pas toucher aux aliments du plat commun, de la toilette de nuit qui affirme que le corps doit rester caché en toute occasion ; c'est l'époque où les relations sexuelles deviennent un tabou que l'on ne doit pas évoquer, surtout en présence d'enfants. [...]
[...] Quoi qu'il en soit, ce sont bien des historiens qui ont fait entrer Elias dans les sciences sociales alors que la sociologie a mis beaucoup plus de temps à intégrer son approche et ses apports. La Civilisation des mœurs est- il un ouvrage d'histoire écrit par un sociologue ? Tout le travail d'Elias pose la question du rapport entre ces deux disciplines. Il repose en fait sur une conviction : l'étude et la compréhension du présent n'est pas possible sans l'analyse du passé. [...]
[...] De sociale, la nécessité devient individuelle. Et Elias remarque que cette évolution des sociétés se reflète dans l'histoire de chaque individu : chaque enfant commence par respecter les normes sous la pression sociale et en particulier familiale avant de les intérioriser et donc de les respecter par autocontrôle, sans même en avoir conscience, en considérant son comportement comme naturel, une fois devenu adulte. On le voit, le travail d'Elias est d'une grande originalité, surtout compte tenu de sa date de parution. [...]
[...] Le mouvement, dont il est ici question, n'est pas guidé par l'évolution des techniques, par la connaissance rationnelle, par la recherche d'une plus grande hygiène. Les justifications liées à l'hygiène n'apparaîtront qu'au XIXe siècle. Ce qui est évoqué pour justifier les normes, c'est un appel à la pudeur et à la sensibilité. Si des normes nouvelles apparaissent, c'est donc que le seuil de pudeur se déplace : cracher était considéré comme naturel et sain, cela devient malséant, choquant : la pudeur, le sentiment de gêne, considérés comme des sentiments intimes, sont donc sociaux. [...]
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