"Je préfère parler du fond de mon cercueil ; ma narration sera alors accompagnée de ces voix qui ont quelque chose de sacré, parce qu'elles sortent du sépulcre. [...] Si j'ai assez souffert en ce monde pour être dans l'autre une ombre heureuse, un rayon échappé des Champs-Élysées répandra sur mes derniers tableaux une lumière protectrice : la vie me sied mal, la mort m'ira peut-être mieux" écrit Chateaubriand dans le texte liminaire qui ouvre ses Mémoires d'outre-tombe.
De fait, dans cette sorte de préface testamentaire à "l'oeuvre-monument" que représente les Mémoires, on assiste, au delà de la mise en scène de l'auteur en tant que "fantôme littéraire", à l'assimilation de la part mémorielle de l'écrit à une dimension quasi divine, en prise à la fois avec le moi intime du Chateaubriand diariste et mémorialiste et les souvenirs, ces tableaux évoqués, qui laissent se déployer un monde composé de ce qui a été vu et vécu (...)
[...] notre vie est si vaine qu'elle n'est que le reflet de notre mémoire (Livre deuxième, chapitre 2). Dès lors, Chateaubriand semble chercher, à travers cette sorte de cogito de la mémoire (je me souviens, donc je suis) à combler cette peur de la disparition qui se fait pesante, cette pensée de la mort qui ne cesse de le questionner, sans pour autant y arriver, puisque, justement, reste cet aspect vain L'idée d'une vanité traduisible par une forme de memento mori se retrouve dans le constat que fait Chateaubriand de sa solitude face au monde qui se néantise progressivement. [...]
[...] Il y a donc, comme nous l'avons évoqué en introduction une tension entre ses deux vanités, pragmatiques et existentielle, pourrions-nous dire. On peut envisager que chacun de deux aspects traduit ce que Chateaubriand nomma, dans Le Génie du Christianisme vague des passions C'est-à- dire une sorte de posture romantique où la passion est si violente qu'elle ne trouve pas d'objet qui pourrait la définir. En effet, ces deux vanités aux définitions antithétiques et complémentaires sont la marque d'un état mélancolique propre à l'œuvre. [...]
[...] En fin d'analyse on s'aperçoit que si, de prime abord, la vanité apparaît comme une notion à la définition équivoque, binaire, dont les deux explications sont purement antithétiques, elle est en fait un concept qui ne fait qu'un et qui trouve, au sein de l'œuvre, sa justification. Gravité d'une part qui fait saisir la précarité de la vie humaine, futilité d'une autre qui pousse à paraître, semblent, en quelque sorte, s'équilibrer. En effet, chez Chateaubriand tout semble souvent se rejoindre malgré des aspects opposés. Les choses se réunissent et puis se disloquent, quittent leurs places initiales pour en trouver une autre avant d'y revenir. [...]
[...] La naissance devient donc une sorte de légende qui creuse et forge l'image de l'auteur, le fait paraître En effet, c'est cette sorte de vanité qui pousse l'auteur à se mettre en scène et c'est cette préoccupation de l'image du moi (envers autrui et envers soi-même) qui nous amène à parler de vanité On pourrait aussi évoquer ce que l'on nomme coquetterie d'auteur lorsque, pour illustration, Chateaubriand écrit : Les souvenirs qui se réveillent dans ma mémoire m'accablent de leur force et de leur multitude : et pourtant, que sont-ils pour le reste du monde ? De fait, c'est ce qu'est en train de faire Chateaubriand lorsqu'il rédige ses Mémoires, c'est- à-dire embrassé à la fois l'histoire du reste du monde et la sienne, dans sa dimension la plus personnelle. Ainsi, questionner l'assimilation de son histoire intime à celle qui se veut collective semble vain puisque rattrapé par le projet de l'écriture. N'oublions pas, d'ailleurs, que dans la définition même de la vanité, on retrouve cette idée du vide qui veut se faire plein. [...]
[...] Ce ne seront point des confessions pénibles pour mes amis écrit Chateaubriand, si je suis quelque chose dans l'avenir, mes amis y auront un nom aussi beau que respectable. Je n'entretiendrai pas non plus la postérité du détail de mes faiblesses ; je ne dirais de moi que ce qui est convenable à ma dignité d'homme, et j'ose le dire, à l'élévation de mon cœur. Il ne faut présenter au monde que ce qui est beau ; ce n'est pas mentir à Dieu que de ne découvrir de sa vie que ce qui peut porter nos pareils à des sentiments nobles et généreux. [...]
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